Un jour… Un chef-d’œuvre (139)

Afin de ne pas déformer le visage noble en soufflant dans un tuyau, ce qui ne peut être que le lot du vulgaire…

(vulgaire, de vulgus en latin le peuple, le commun des hommes)

Hyacinthe Rigaud (1659-1743), Portrait de Gaspard de Gueidan en joueur de musette de cour, 1735 (détail).

 

François Lazarevitch – joue de la Musette de Cour.

Gaspard de Gueidan était avocat général au parlement de Provence. Il aimait se faire représenter sous les traits de Céladon, le jeune berger héros du roman d’Honoré d’Urfé, L’Astrée. Le riche coloris de son habit, une symphonie de bruns, d’ors, de bleus et d’argent s’allie à la représentation du somptueux instrument, la musette de cour, instrument inventé dans le but de pratiquer la cornemuse sans déformer le visage en soufflant dans un tuyaux. Dans l’antiquité et selon Plutarque, Alcibiade enfant aurait catégoriquement refusé de jouer de l’aulos au prétexte que cette pratique déformait les traits du visage et était indigne d’un citoyen athénien. L’origine de cette idée se trouve sans doute dans la mythologie: Athéna (Minerve, déesse de la Sagesse) avait inventé l’aulos sorte de double flûte. Mais s’apercevant qu’elle lui déformait le visage, elle la jeta en maudissant celui qui la ramasserait. La musette de cour contourne donc ce défaut et propose un soufflet au lieu d’un tube. La beauté aristocratique de l’instrument et sa décoration étaient au centre des préoccupations des constructeurs. Celle que vous découvrez ici est couverte de velours bleu et ornée de franges dorées, le sac est associé à un tuyau mélodique et à un manche cylindrique qui renferme les bourdons. Le soufflet trapézoïdal est actionné avec le coude droit. Les doigts sont posés avec précision et élégance sur les trous du tube mélodique à anche double, une sorte de hautbois, ici en ébène et ivoire.

Texte remodelé et étoffé (JMO) à partir de Alberto Ausoni, La musique, Paris, Éditions Hazan, Guide des Arts, 2006, p. 338.

Hyacinthe Rigaud (1659-1743), Portrait de Gaspard de Gueidan en joueur de musette de cour, 1735.

La musette, petite cornemuse savante, utilisée abondamment dans la musique de la cour de France, entre la Renaissance tardive et la fin de l’époque baroque, a suscité un engouement extraordinaire, touchant une société aristocratique avide de musiques pastorales, qui la pratiquait volontiers, souvent en compagnie de la vielle, dans des simulacres de la vie paysanne. Débuté à la fin du XVIIe siècle, ce phénomène, touchant jusqu’à la famille royale, a connu son apogée entre les années 1720 et 1760 et a conduit les compositeurs français, tels Boismortier, Corrette ou les frères Chédeville (pour ne citer que les plus prolifiques), à éditer un volume de musique de chambre impressionnant, comprenant près de 200 livrets de partitions, plaçant ainsi la musette juste derrière le violon et la flûte traversière. S’est diffusé alors, au cours de la première moitié du XVIIIème siècle, un répertoire riche et varié, allant de « petits airs » (danses, vaudevilles, brunettes, etc.) à des sonates et concertos nécessitant une réelle virtuosité, sur cet instrument dont la facture instrumentale n’a cessé de se complexifier. Des parties de musettes sont également présentes en nombre dans des opéras, de Lully à Rameau…

La musette s’est éteinte, emportée par la fin du style musical baroque, dans les années 1760. Si elle a subsisté en représentation dans les arts décoratifs jusqu’à la fin du XIXe siècle, sa pratique musicale a totalement cessé, pour ne renaître que bien longtemps après, au tout début des années 1980, à la faveur du regain d’intérêt pour la musique ancienne de cette période. Depuis, sa pratique n’a cessé de croître, l’instrument est aujourd’hui enseigné dans certains conservatoires (Toulouse puis Versailles en France, Leuven en Belgique…) disposant d’un département de musique ancienne.

La musette, un instrument de cour, un instrument tout court (La Gazette musicale, Musicologie.org, 31 octobre 2018)

 

Michel Corrette (1707-1795), Concerto pour musette de cour et orchestre Op. 4 n°3 interprété par Daniel Cuiller et l’Ensemble Stradivaria.