Nul s’il n’est courtois ni sage
Ne peut d’Amour rien apprendre…
Extrait de la chanson : Amors, tançon et bataille de Chrétien de Troyes
Amour Courtois, Miniature du 13ème siècle.
Bernard de Ventadour, (Bernat de Ventadorn en ancien occitan), né vers 1125 (XIIe siècle) à Ventadour dans le département de la Corrèze et mort vers 1200 à l’Abbaye de Dalon dans le département de la Dordogne, étant moine, est l’un des plus célèbres troubadours occitans.
Quand voie l’alouette mouvoir
De joie ses ailes face au soleil,
Que s’oublie et se laisse choir
Par la douceur qu’au cœur lui va,
Las ! si grand envie me vient
De tous ceux dont je vois la joie,
Et c’est merveille qu’à l’instant
Le cœur de désir ne me fonde.
Or ne sais plus me gouverner
Et ne puis plus m’appartenir
Car ne me laisse en ses yeux voir
En ce miroir qui tant me plaît.
Miroir, pour m’être miré en toi,
Suis mort à force de soupirs,
Et perdu comme perdu s’est
Le beau Narcisse en la fontaine.
Et puisqu’auprès d’elle ne valent
Prière, merci ni droit que j’ai,
Puisque ne lui vient à plaisir
Que l’aime, plus ne lui dirai ;
Aussi je pars d’elle et d’amour ;
Ma mort elle veut, et je meurs,
Et m’en vais, car ne me retient,
Dolent, en exil, ne sais où.
Tristan, plus rien n’aurez de moi,
je m’en vais, dolent, ne sais où ;
De chanter cesse et me retire,
De joie d’amour me dérobe.
Bernard de Ventadour – Can vei la lauzeta mover (1145-1195), extrait.
« Au XIIème siècle apparaît dans la littérature un nouveau type de comportement amoureux, l’amour courtois. Illustré dans bon nombre de poèmes lyriques de troubadours, il s’étend hors du pays d’oc et conquiert le pays d’oïl où il pénètre la poésie des trouvères. Il sert au délassement de la Cour qui lui assure un succès considérable. À la fin du XIème siècle, après avoir été en contact avec les musulmans et les byzantins, les cours deviennent de plus en plus raffinées. Un nouveau système de valeurs sociales se met en place. Il sera diffusé à la Cour lorsque Aliénor d’Aquitaine épousera Louis VII, en 1137, puis connaîtra son apogée à la cour de Champagne sous la protection de la fille d’Aliénor, Marie de Champagne.
C’est Gaston Paris au XIXème siècle qui imposera l’appellation « amour courtois »; auparavant, on parlait de fin’amor. De quelque façon qu’on le nomme, cet amour-là fera l’objet d’une abondante production littéraire en langue vernaculaire destinée au public aristocratique. Le désir amoureux entre la femme aimée – souvent d’un haut rang social – et l’amant est mis à l’épreuve: le chevalier prouve son amour en accomplissant des exploits qui lui permettent de franchir les étapes savamment codifiées et ritualisées. L’attente, la souffrance, le désir et la fidélité entretiennent le culte de la femme aimée. Dans Le Chevalier à la charrette, Chrétien de Troyes, qu’on cosidère comme le fondateur du roman, invente la relation amoureuse entre le chevalier Lancelot du Lac et la reine Guenièvre, adultère qui n’aura lieu qu’une fois d’ailleurs.
Soyons courtois
L’amour courtois prend le contre-pied de la civilisation chevaleresque évoquée dans les chansons de geste. La femme y acquiert un statut nouveau: avant, elle était soumise à son père ou à son époux; maintenant, la hiérarchie s’inverse tout en conservant les valeurs chevaleresques et l’usage des civilités mondaines. Le chevalier met genou à terre devant l’aimée comme devant son souverain. Mais plus encore qu’un code de politesse, c’est un nouvel art de vivre qui s’impose, plaçant la femme en son centre. À la fin du XIIème siècle, André le Chapelain met en lumière, dans son traité De honeste amandi, ses principales caractéristiques et en recense vingt et une. Gardons à l’esprit que l’amour courtois commence par un versant spirituel où la dame est inaccessible, notamment parce qu’elle est hiérarchiquement supérieure au courtisan dont le but est de parvenir à une relation charnelle.
Amour courtois, manuscrit de chansons italiennes XIIIème siècle.
Il n’est pas possible d’évoquer l’amour courtois sans se référer à l’art des troubadours. Leur nom est issu du verbe occitan trobar, « trouver »: le troubadour est celui qui trouve l’accord parfait entre la musique et les mots, qui fait jouer pleinement les sonorités de la langue. Cet art s’épanouit pour l’essentiel entre le XIème et le XIIIème siècle, en Aquitaine, puis dans le nord de la France. Il convient d’oublier la figure romantique du poète errant de château en demeure seigneuriale, couchant au mieux sur la paille. Ces poètes sont en réalité des seigneurs, souvent de grands personnages, à l’image du tout premier d’entre eux, le duc Guillaume IX d’Aquitaine, célèbre déjà en son temps pour ses chansons, ou d’ailleurs, Bernard de Ventadour qui pourrait être du nombre de ses enfants illégitimes. Le style majeur du troubadour, c’est le canso, le grand chant courtois. »
Florence Braunstein et Jean-François Pépin, Culturissime, le grand récit de la culture générale, Paris, Gallimard, 2017, pp. 292-293.
Richard Wagner (1813-1883), Tristan und Isolde, Prélude, interprété par la Staatskapelle de Dresde, dirigée par Carlos Kleiber.