Un jour… Un chef-d’œuvre (102)

« Roses à l’extérieur, blancs à l’intérieur, et toujours près du beurre ».

Dicton politique de la IIIème République concernant les radicaux.

 

Jean Siméon Chardin (1699-1779), Nature morte aux radis, 1769 (détail).

« Un ou deux objets modestes, quelques légumes, des radis, deux poissons, un fond sans attrait, dépouillé: peu de choses, en apparence, suffisent à faire une nature morte. Aucune présence humaine, aucune animation, le silence règne. On pourrait tout au plus imaginer le bruit assourdi des activités quotidiennes dans la pièce d’à côté. L’éclat simple des choses simples réduites à leur pure matérialité. Et nous aussi, nous sommes comme réduits au silence, plongés dans une expérience de pure sensualité. Une vision des plus quotidiennes donc dont on pourrait se demander pourquoi elle intéresse le peintre et la peinture. Tout indique de Jean Siméon Chardin recherche, dans ce dépouillement caractérisé, dans cet état de simplicité avouée, une espèce particulière, ou un mode spécifique qu’on pourrait appeler « l’élémentaire ». Non pas une réduction du monde, mais un raccourci, une condensation par quoi le réel immédiat, l’ordinaire, se trouve ramené à quelques éléments solides et significatifs.

Cette nature morte, par ses qualités picturales, ses choix de composition, ses effets de centrage, vise à isoler un pan de l’univers quotidien d’où toute présence humaine a été exclue. C’est là une condition de possibilité, un critère d’évaluation du genre que les peintres ont plus ou moins tenu pour un impératif intangible. Chardin le respecte: seuls les objets usuels, ustensiles, plats, gobelets, plats et les légumes et poissons alentour ordonnent le tableau, confèrent volume et consistance à la figuration, dictent à la peinture en somme ses lois silencieuses. Still life ou, pour reprendre l’expression inventée par le théoricien allemand Joachim von Sandrart, Still-stehende Sache, choses qui sont immobiles: vie inanimée, apaisée, sans bruit, sans action. Telle est la nature morte. Cette toile fait sourdre la sensualité des couleurs, des textures et des lumières, sans surabondance ni apprêt. La tradition de la nature morte antérieure à Chardin, et plus particulièrement dans le registre baroque, ne poursuit pas le même but, tant s’en faut. Elle s’enivre d’autres éclats et d’autres fastes.

[…]

Apprendre à voir le quotidien pose inévitablement la question du sujet, du contenu et de sa valeur. Mais dans le même temps, c’est la valeur de l’acte de peindre, et le sens de la picturalité, que l’élémentaire Chardin propose de cerner, sous l’angle élargi d’une fonction esthétique ou représentative et d’une démarche fortement liée à la connaissance et au savoir. »

Henri Scepi, L’Art pris au mot, Paris, Gallimard, 2007, pp. 176-177.

Jean Siméon Chardin (1699-1779), Nature morte aux radis, 1769.

On connait le sens de l’humour légendaire de Gioacchino Rossini. Dans ses Péchés de vieillesse, il laisse aller ses humeurs les plus rigolotes et se lance dans l’impossible: mettre en musique des « hors-d’œuvre ». Et le premier d’entre eux est consacré aux… radis! De quoi montrer qu’à l’inverse de la nature morte silencieuse de Chardin, le radis rossinien, après s’être présenté immobile et sévère, s’anime pour devenir une nature bien vivante où le radis, à moins que ce ne soit son consommateur qui par la piquante saveur du légume-racine  … un comble… peut-être doublé d’un double sens°… mais qui fait du bien au sourire!

 

Gioacchino Rossini (1792-1868), Mes Péchés de vieillesse, Vol. 4: Quatre hors d’œuvres, No. 1. Les radis, interprété par Alessandro Marangoni.

° En 1843, sous la monarchie de Juillet, les radicaux se regroupent autour d’Alexandre Ledru-Rollin et participent à l’avènement de la IIe République. Ils soutiennent les grandes réformes de 1848 : instauration du suffrage universel masculin, abolition de l’esclavage, liberté de la presse, liberté de réunion. Les radicaux s’opposent au régime de Napoléon III et trouvent un leader, en 1868, en la personne de Léon Gambetta (qui a publié en 1863 La Politique radicale, recueil de discours qui synthétise la doctrine radicale). En France, dès avant la IIIe République, (j’ajoute: mais Rossini était mort en 1868, a-t-il pu connaître l’expression entre 1858 et 1868, dates de la composition de son recueil?… quand on sait que les quatre hors-d’œuvre sont: 1. Les Radis, 2. Les Anchois, 3. Les Cornichons et 4. Le Beurre), les radicaux étaient souvent comparés aux radis : « Roses à l’extérieur, blancs à l’intérieur, et toujours près du beurre ». Ce dicton politique décrivait le comportement du parti radical : politiquement à gauche (« roses »), économiquement à droite (« blancs »), et presque toujours dans le gouvernement (le « beurre »). (Wikipédia)