Le Plaisir des choses simples…

Comment écrire un billet d’humeur de fin d’année en ce 31 décembre 2023 ? Que dire ? Comment n’être pas sombre et grave au regard du monde qui nous entoure ? Et qui suis-je pour avoir un avis sur la marche du monde… et surtout pour en faire part publiquement ? Serais-je comme tous ces pseudo commentateurs et juges autoproclamés que l’on trouve sur les réseaux sociaux ? Voilà, en substance, les quelques idées qui hantent ma fin d’année depuis bien longtemps et qui m’ont décidé, en ce dernier jour, pluvieux et gris, à tout de même prendre la plume pour actualiser un billet déjà ancien mais toujours d’actualité.

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Photographie prise dans les Coteaux de la Citadelle le 30 décembre 2018. Hasard ou placement délibéré? L’imagination bat son plein. Association d’idées: samares sur un tronc d’arbre…

Car il me semblait normal, et malgré un net ralentissement de mon activité sur le blog, de remercier tous mes lecteurs de leur fidélité, puis de leur présenter mes vœux pour 2024, puisque les souhaiter à chacun en particulier n’est, hélas, pas possible. Je ne vous parlerai ni du monde dans sa course folle et destructrice, ni de la pauvreté galopante même dans les pays les plus riches, ni de la politique impuissante à solutionner quoi que ce soit, ni du climat et de la planète en grand danger, ni du consumérisme aveugle et affolant, ni des migrations des peuples qui fuient une misère totale… Tous ces thèmes sont imbriqués et beaucoup trop complexes pour trouver, dans le cadre d’un billet sur un blog, ne fut-ce que quelques embryons d’avis circonstanciés. Je vous parlerai d’image, de mémoire et d’émotion…

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Les environs du Val-Dieu à la fin du mois de novembre. Un coucher de soleil rythmé des grands arbres dans la prairie.

Je voulais recentrer le propos sur ce qui fait l’essentiel de mes activités, l’étude assidue de la musique et de l’art. Je me dis si souvent que ma chance est immense. Je passe ma vie à partager ma passion, à courir les salles de cours et de conférences pour parler de musique, de l’importance qu’elle peut avoir dans nos vies. Je consacre le plus clair de mon temps à tenter de montrer que l’art est pour tous et pas pour une élite intellectuelle refermée sur elle-même. Mais je me demande aussi tous les jours comment celui qui a faim et froid, comment la maman pauvre et seule qui élève ses enfants avec moins que le nécessaire, comment encore le père de famille qui ne parvient pas à assurer le minimum pour les siens,… comment ces êtres humains, remplis d’émotions diverses pourraient s’occuper d’art et de musique ! Comment reconnaître les symboles d’humanité que l’art véhicule quand on n’a ni la culture, ni les moyens de la culture ? Tout cela me peine profondément car l’art ne doit pas être un ornement de la vie pour personnes privilégiées et notre société…

Tout est dans tout! Dans mes promenades dominicales dans les Coteaux de la Citadelle à Liège, je peux m’amuser, c’est un luxe que je mesure à sa juste valeur, à observer un environnement naturel, certes entretenu par l’Homme, mais préservé, pour l’instant, dans sa diversité. Le hasard d’une écorce d’arbre, de formes aléatoires dessinées par des branches, l’allure des troncs et leur reflet dans le soleil et autres paysages superbes éveillent en moi des associations d’idées curieuses. Car là est notre première faculté face aux images, c’est d’y associer ce que nous sommes. Les quelques images de la nature qui illustrent ce billet sont prises par l’appareil photo de mon téléphone, sans aucune prétention artistique et sans retouche… simplement parce qu’elles ont déclenché en moi quelques émotions qui s’apparentent aux fonctions de l’image parfois évoquées par la sémiologie. Sans prétention d’exhaustivité, cheminons un peu librement ! Á vous de les regarder… et de cheminer avec elles si le cœur vous en dit!

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L’image, comme la musique et l’art, fait immédiatement appel à nos souvenirs. On ne peut se souvenir que de ce qu’on a déjà vu… ou entendu.

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Association d’idées: samares sur un tronc d’arbre…

Envol d’une nuée de pigeons, un symbole de liberté, de nouveau départ,… photo prise avec beaucoup de chance le 10 décembre 2023.

Hasard du vent et de l’humidité, action d’un promeneur facétieux ? Difficile à dire… d’autant qu’il y a quelques semaines, une autre image assez proche, elle manifestement due au hasard, m’avait déjà frappée. Le souvenir est immédiat et personnel. Deux êtres dialoguent, se regardent. Sont-ce des oiseaux ?  Il se peut donc que l’image des oiseaux s’impose à moi non seulement par l’image de ces personnages, mais aussi par ce qui ressemble à un arbre rempli d’autres amis à plumes. Mais après tout, ce ne sont que des samares, ces fruits détachés de l’érable rassemblés en grappe ou seuls, tombés là par les caprices du vent et collés par la pluie. De là à projeter nos souvenirs, il n’y a qu’un pas à franchir pour y discerner des êtres humains qui s’enlacent ou qui dialoguent. Nous voyons les choses en fonction de nos souvenirs, des images stockées en nous et des émotions que nous éprouvons. Une personne qui avait travaillé en hôpital y voyait, par exemple, des… poumons… !

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Deux samares… enlacées sur un tronc d’arbre? Le pouvoir de notre imagination et de notre mémoire émotionnelle. Photo du 7 octobre 2018.

Susciter une émotion, justement. À y regarder de près, la nature n’a pas d’émotion et ne cherche pas à nous concerner. Elle n’a aucun dessein. Elle est la conjonction de circonstances naturelles. Ceci n’exclut nullement l’idée que la nature est bien vivante et possède une énergie exceptionnelle. Mais elle n’agit pas pour ou contre l’être humain. Nous, par contre, cherchons notre place dans cette nature et tout signe qui se rapproche de notre humanité peut nous toucher profondément. Le modeste objectif de mon téléphone ne photographie que ce que je crois sentir.

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Au Mémorial de la Citadelle, l’autel en marbre de l’Enclos des Fusillés par temps de pluie reflète l’immense croix, symbole du sacrifice des soldats morts pour notre liberté.

Que de manière aléatoire nous associons aux samares, à ce trou dans l’écorce d’un arbre mort (ci-dessous) qui tantôt ressemble à un fauve somnolent ou, encore à quelque monstre gentil… ou pas, des qualités expressives est naturel. On peut même parler d’espoir quand on croit reconnaître l’amour de deux êtres qui s’enlacent ou un dialogue fondamental entre les individus, voire une maternité. En ce qui concerne « l’œil » on peut être plus mitigé. Y voir un œil bienveillant, une baleine, un éléphant ou un crocodile menaçant dépend de notre état d’esprit et de notre disposition émotionnelle. En évoquant l’œil totalitaire de Big Brother de G. Orwell, on imagine une vision plus intrusive, voire désespérée de notre société dont la technologie toujours plus invasive sait presque tout de nous.

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Un œil dans l’écorce d’un arbre… Une baleine, un crocodile, le regard de Big Brother ou la tache de Jupiter? Simplement une écorce d’arbre…!

Une fois l’image entrée en nous, que peut-elle nous dire de nous-mêmes et du monde ? C’est ce que j’aimerais appeler la révélation de soi. Pourquoi peut-on avoir les larmes aux yeux en croyant reconnaître les valeurs humaines là où elles ne sont pas ? N’est-ce pas là mieux se connaître ? Comme nous ne savons pas toujours avec certitude qui nous sommes, rien ne nous empêche de nous explorer.

Vierge à l'Enfant, Ivoire, avant 1279 (détail)

Vierge à l’Enfant, Ivoire, avant 1279 (détail). Une oeuvre d’art peut nous bouleverser par la beauté qu’elle évoque et l’amour qu’elle représente. Profane et sacré se rejoignent.

Les larmes peuvent être celles de la douleur. De la souffrance intérieure qui constate que le monde idéal que figure notre esprit par l’image n’est qu’un leurre et que la réalité du monde n’est point celle-là ! Alors, c’est une prise de conscience. Les mêmes larmes peuvent être le résultat d’une émotion teintée de joie ! C’est alors une sorte de consolation, non pas naïve et béate, mais lucide de la beauté qui s’invite dans une réalité grave et qui nous offre un message humain. Après tout, tout est possible. Les plus belles choses existent dans notre monde et côtoient les plus horribles.

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Un tronc d’arbre abattu, après plusieurs années, ressemble à un tunnel qui peut susciter chez l’observateur une réelle émotion.

Toujours est-il que la découverte des images ne consiste pas à observer ce que la nature fait pour nous, mais de développer en nous ce quelque chose d’humain que nous sentons mais ne savons pas toujours bien exprimer. Là se trouve le miracle de l’image et, à plus forte raison, de l’art. Car plus nous serons curieux et en quête de nous-mêmes, plus nous pourrons nous comprendre. Nous développerons notre équilibre et notre capacité à voir. Voir en soi n’est pas égoïste, que du contraire, c’est le premier pas vers l’autre que la curiosité bienveillante, la documentation et l’étude assidue de la culture et du monde permettent d’approfondir.

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Alain Jan, Nativité. Les personnages sont finalement si proches des samares évoqués plus haut!

Le cheminement n’est jamais un repli car si l’image est fortuite et inattendue, cela peut être le cas pour une peinture ou une musique, nous la rencontrons, elle s’impose à nous comme quelque chose d’étranger. Lorsque nous la reconnaissons, non seulement nous renforçons notre identité, nous nous connaissons mieux, mais surtout, nous reconnaissons l’autre et, quel que soit l’impression première qu’il nous offre, c’est en l’admettant, en tentant de le comprendre, en cherchant le miroir de lui-même en nous que nous développons l’empathie nécessaire à la rencontre des êtres. Car, enfin, n’est-ce pas là ce à quoi devrait aspirer l’humanité, à la reconnaissance qui, dans un équilibre retrouvé et respectueux, offre la paix ? Je vous souhaite donc une année 2024 pleine des belles découvertes et des joies simples que le monde a à nous offrir quotidiennement !

Espoir de vie, d’épanouissement, de beauté et de lumière… sans angélisme, mais avec conviction et volonté comme cette orchidée qui, n’ayant plus fleuri depuis près d’un an, semble prendre un beau départ à l’annonce de 2024. Qu’elle puisse bientôt nous illuminer de sa beauté et attiser notre joie!