Un jour… Un chef-d’œuvre (264)

Mais c’est surtout dans la licorne que réside le merveilleux, car c’est une créature fabuleuse au corps de cheval, à la tête et aux pattes de chèvre, et à la dent de narval en guise de corne.

La Dame à la Licorne, Sixième tapisserie « À mon seul désir », fin du 15ème siècle ou, plus probablement, début du 16ème siècle, cartons dessinés à Paris, tapisserie réalisée en Flandre, laine et soie. 

Josquin Desprez (1440-1521), Ave Maria, interprété par Weser Renaissance, dirigé par Manfred Cordes.

Josquin des Prés (Desprez, Des Préz, Desprez…), dont nous commémorons cette année les 500 ans de la mort, est peut-être né à Beaurevoir vers 1440 et mort à Condé-sur-l’Escaut le 27 août 1521, souvent désigné simplement sous le nom de Josquin, est un compositeur franco-flamand de la Renaissance. Il est le compositeur européen le plus célèbre entre Guillaume Dufay et Palestrina, et est habituellement considéré comme la figure centrale de l’école franco-flamande. Josquin est largement considéré par les spécialistes comme le premier grand maître dans le domaine de la polyphonie vocale des débuts de la Renaissance, style qui allait poursuivre son développement au cours de sa vie.

LE SIXIÈME SENS

Composée de six pièces de tapisserie, la Dame à la licorne est certainement la tenture la plus fascinante et la plus mystérieuse au monde. Elle date de la fin du 15ème ou du tout début du 16ème siècle. Découverte en 1841, elle est étudiée depuis son entrée au musée de Cluny en 1882. Mais ce n’est qu’en 1921 qu’un médiéviste britannique identifie cinq des six pièces comme la représentation des cinq sens. Le toucher, le goût, l’odorat, l’ouïe et la vue. Oui, mais la sixième tapisserie? C’est la seule qui comporte une inscription: « À mon seul désir », qui a donné son titre à l’ensemble, mais n’éclaire guère sur son contenu. Pas plus que la main tendue de la dame vers son coffret à bijoux, car qui sait si elle se sert ou si elle range? Il faudra attendre le début du 21ème siècle, lorsque les historiens Boudet et Glaenzer ont avancé l’hypothèse selon laquelle les panneaux suivaient la hiérarchie médiévale des cinq sens; c’est à dire des plus matériels – le toucher et le goût – aux plus spirituels – l’odorat, l’ouïe et la vue. Et que trouve-t-on au sommet de cette progression? Mais l’esprit, bien sûr, le sixième sens!

Voyez comme les pièces du puzzle s’emboîtent à la perfection. La main tendue vers le coffre à bijoux, par exemple, c’est le geste qui symbolise l’abandon des biens matériels, pour parvenir « à mon seul désir », ma seule volonté, la prééminence de l’esprit, donc du sixième sens sur les cinq autres. Mais la Dame à la licorne n’a pas encore révélé tous ses secrets car les interprétations varient sur l’objet de ce désir, beauté de l’âme selon certains, cœur spirituel pour d’autres. Et bien sûr désir charnel, car la licorne, ne l’oublions pas, est symbole de chasteté. Quant à sa corne, elle revêt une lourde connotation sexuelle…

Marie-Isabelle Taddeï et Frédéric Taddeï, La Dame à la Licorne « À mon seul désir », dans d’Art d’Art, Paris, Éditions Chêne, 2011, p. 46.

La Dame à la Licorne, détail du Goût.

PLUS QU’UNE DAME, UNE ALLÉGORIE

La dame de la tenture, au teint de lys, aux lèvres vermeilles et aux cheveux dorés, est d’une beauté dont la littérature courtoise chante les louanges depuis le XIIe siècle. Elle n’est pas le portrait d’une femme qui vécut dans l’entourage des Le Viste (dont les étendards portent le blason, c’est moi qui ajoute), mais l’incarnation de la femme idéale selon les critères médiévaux.

[…] Sur chaque tapisserie, le geste de la dame désigne le sens concerné : elle nourrit un oiseau pour le goût; elle joue de l’orgue pour l’ouïe; elle charme la licorne avec un miroir pour la vue; elle tresse une couronne de fleurs pour l’odorat; ses mains se posent sur l’étendard et sur la corne pour le toucher. Les sens sont un thème fréquent à cette époque, et pas seulement pour les artistes. Ils sont en effet au cœur des préoccupations de certains érudits qui les classent dans un ordre précis. Pour les théologiens, ils permettent à l’homme de comprendre la création de Dieu et d’élever son âme. La vue, au sommet de la hiérarchie, rappelle l’importance de la lumière et des couleurs en lien avec Dieu.

« À mon seul désir »

La sixième tenture, où la dame apparaît devant une tente entrouverte sur laquelle est inscrite la devise À mon seul désir, est plus la complexe d’interprétation. La jeune femme qui manipule des bijoux semble mettre en garde contre les dérives sensuelles et l’abus des jouissances terrestres. On ne cesse de s’interroger sur ce seul désir. Quel est-il ? Celui du cœur ou celui de la raison ? La douce féminité de l’atmosphère, l’érotisme associé à la licorne, plaident dans un sens, le geste volontaire de la dame qui semble renoncer à ses bijoux, dans l’autre.

Quoi qu’il en soit, le message délivré par la tenture semble centré sur l’importance de la mesure en toutes choses, permettant de profiter des plaisirs des sens sans pour autant y être enchaîné, à la différence du singe dans la tapisserie du toucher. Cette mesure est affaire de volonté et de libre arbitre qui rendent l’homme responsable de ses actes. Il y a donc déjà dans la Dame à la licorne un élan humaniste qui annonce la Renaissance.

Extrait du site site Panorama de l’art.

La Dame à la Licorne, L’Ouïe.

Orgue positif médiéval.

À ces belles descriptions de la magnifique tapisserie de la Dame à la Licorne, je voudrais ajouter que la devise « À mon seul désir » est en réalité suivie d’un « I » qui est peu évoqué dans les analyses et qui pourrait pourtant être la clé de l’œuvre sans pour autant en enlever définitivement l’ambiguïté. Les animaux comme les lapins, singes et oiseaux divers possèdent des symboliques complexes et contradictoires. Mais dans la symbolique des lettres, le « i » signale l’Insémination de l’Esprit. « L’être humain, l’Homme doit se vouloir inséminé et inséminateur pour évoluer. Regardez le mot : initié ! » (La symbolique des lettres). D’autres commentateurs recoupent cette idée symbolique en associant la lettre et l’Esprit… offrant alors une lecture d’aspiration à l’Un, la divinité… Le seul désir serait alors, au-delà des sens, en se débarrassant des attributs périssables du temps terrestre, de tendre vers la fusion de l’être avec son dieu, ce qui n’écarte évidemment l’Amour, mais le nuance… en le dégageant de sa matérialité.