Un jour… Un chef-d’oeuvre! (52)

« Bettina, monsieur, compare très judicieusement son état à un rêve dans lequel on s’efforce en vain de planer dans les airs. Cet état négatif de maladie se rit de ma science et de tous les moyens que j’emploie. L’ennemi que je combats m’échappe comme un spectre. Et vous avez raison de dire que Bettina n’existe dans son chant car elle meurt déjà d’effroi en songeant qu’elle pourrait perdre sa voix. »

Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822), Contes fantastiques, Le Sanctus (extrait), Paris, Garnier-Flammarion, 1979, p.123.

52a. Fernand Khnopff, En écoutant du Schumann, 1883

Fernand Khnopff (1858-1921), En écoutant du Schumann, 1883.

Robert Schumann (1810-1856), Quatuor avec piano n°1 en mi bémol majeur op.47, troisième mouvement, Andante cantabile, interprété par Gabriele Pieranunzi, Francesco Fiore, Rocco Filippini et Alfons Kontarsky.

« Une pluie glacée recouvrait Düsseldorf au début de l’après-midi, le 27 février 1854. C’était un jour froid, mais chacun se réchauffait un peu à l’idée que c’était aussi un jour de Carnaval. Un homme en chaussons, vêtu d’une simple chemise, sortit d’une maison située 15 Bilkerstrasse, et tourna à gauche dans la rue pavée. Il trébuchait de temps à autre. Ses traits étaient brouillés, ses yeux baissés ou tournés vers le dedans; il pleurait. Quoique hésitant, son pas était gracieux; on eût dit qu’il marchait sur la pointe des pieds. Il se dirigea vers le Rhin, à quatre rues de là. Il s’arrêta devant la Rathaus Ufer, et contempla la rive ouest.

Un petit ponton menait de l’autre côté. Il fallait payer le passage. Absent, l’homme fouilla ses poches pour chercher de la monnaie. Il s’interrompit, gardant la tête basse, chercha encore, fit mine de rebrousser chemin. Il s’arrêta de nouveau et tendit enfin un mouchoir de soie au gardien avec un sourire désolé. Puis il s’élança sur le petit pont et, après quelques pas, enjamba le parapet.

[…]

Mais dans tout le temps qu’il avait passé à l’asile d’Endenich, le musicien s’était séparé de la musique. Tout cela était si loin que le nom de Schumann ne lui était plus que celui d’un musicien célèbre dont il lui semblait qu’on lui donnait des nouvelles. Il lui arrivait d’écrire: « Embrassez pour moi Florestan et Eusebius. » Il se borna à harmoniser une vieille mélodie, un choral que Bach avait lui-même utilisé trois fois:

Wenn mein Stündlein vorhanden ist
aus dieser Welt zu scheiden,
so hilf du mir, Herr Jesu Christ, in meinem letzten Leiden.
Herr, meine Seel an meinem End
befehl ich dir in Deine Händ,
du wirst sie wohl bewahren.

Voici la traduction des paroles de ce choral:

Quand viendra ma dernière heure,
Que je me séparerai de ce monde,
Aide-moi, Seigneur Jésus-Christ,
Dans mes dernières douleurs.
Seigneur, mon âme à sa fin,
Je la remets entre tes mains,
Tu sauras la bien garder.

L’écriture du manuscrit est d’une absolue netteté; rien qui tremble ou qui soit haché, élidé. Il y est question des dernières douleurs, de la séparation, d’une âme à sa fin, que l’on remet dans la main du Sauveur, comme naguère Schumann avait déposé dans la main noire et roide d’un passeur un mouchoir de soie blanche.»

Michel Schneider, La tombée du jour, Robert Schumann, Paris, Éditions du Seuil, 1989, p.11, puis pp.178-179.

Robert Schumann, Choral Wenn mein Stündlein vorhanden ist, dernière oeuvre du compositeur, composé à l’Asile d’Endenich près de Bonn en 1856.

52b. Endenich vers 1857

Clinique du Docteur Richartz en 1857 à Endenich près de Bonn où Robert Schumann a été interné et est mort.

52c. Clinique de Dr Richartz à Endenich près de Bonn

Clinique du Docteur Richartz à Endenich aujourd’hui.