Un jour… Un chef-d’œuvre (253)

Ne vous asseyez pas dans le fond… c’est très humide!

Erik Satie

Charles Martin (1884-1934), Bain de Mer, Illustration pour Sports et Divertissements d’Erik Satie, 1914.

Erik Satie (1866-1925), Sports et Divertissements pour piano, n°9, Bain de Mer, interprété par Cristina Ariagno.

Sports et Divertissements est un cycle de vingt et une pièces brèves pour piano d’Erik Satie. Composé entre mars et mai 1914, l’ouvrage associe musique et dessins de Charles Martin selon les mots de l’auteur: « cette publication est constituée de deux éléments artistiques : dessin et musique. La partie dessin est figurée par des traits, des traits d’esprit, la partie musique par des points, des points noirs ». Quelques commentaires poétiques ou ironiques du compositeur complètent l’ensemble.

NAGER

Nager mais où et comment?

«Nager. C’est voguer. Rameurs qui nagent debout. C’est-à-dire qui voguent sans être assis. » Voilà une scène bien surréaliste! Elle n’est pas tirée d’un livre de science-fiction, où les oiseaux seraient des poissons et les nageurs des marcheurs, mais du Dictionnaire françois de Richelet. Au 17ème siècle, les bateaux nagent, en effet, quand ils «voguent» et «naviguent». Ce sens a peu à peu pris le large avec les années et reste depuis vieilli. Pourtant, il n’y aurait rien de plus juste étymologiquement que de continuer à l’appeler ainsi.

Le verbe nager vient effectivement du latin navigare (naviguer, voyager sur la mer). Dès le 12ème siècle, lorsque le verbe nager entre en français, il reste de fait l’équivalent de «naviguer» et de «conduire un bateau». Ainsi, lorsqu’on lit dans n’importe quel texte que ce soit «nager sur mer», il faut comprendre «voyager par mer». Quand on ne nage pas en bateau, on précise alors qu’on «nage des mains», c’est-à-dire que l’on essaie de ne pas se noyer en remuant les mains.

On nage comme on conduit, en sachant où l’on va. il s’agit donc de respecter une route maritime. Celui qui «nage entre deux vagues» est celui qui refuse de s’engager dans une voie au 14ème siècle. Quant à celui qui «nage en plus grande eau», l’image est entendue: il jouit d’une situation importante et peut donc se permettre de nager dans une plus grande étendue. À lui l’autoroute, aux autres la départementale…

Au 17ème siècle, le verbe concerne tout autant les animaux, les humains que les bateaux. Richelet note dans son Dictionnaire françois publié en 1680 que les poissons «fendent l’eau», que les hommes «meuvent les bras et les jambes dans l’eau» et que les bateliers de Paris «rament» quand ils nagent, quand ils naviguent. Richelet relève toutefois que ce dernier emploi tend à se raréfier puisqu’il y en a «assez qui disent ramer».

Dix ans après lui, Furetière indique dans son Dictionnaire universel que «nager» signifie «voguer, agiter les rames pour faire avancer le bateau» et «se dit figurément en choses morales. On dit que l’on nage d’aise et que l’on nage de joie comme un poisson dans l’eau».

Au 18ème siècle, nager signifie encore «ramer pour voguer sur l’eau», ainsi qu’on peut le lire en 1762 dans la quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie française. Mais à compter du 19ème siècle, Littré nous informe qu’on ne l’utilise plus qu’en évoquant le maniement des avirons.

Enfin, lorsqu’on est en nage, on n’est certes plus tant sur l’eau que dedans. C’est bien d’eau qu’il s’agit en effet; avec cette expression d’ailleurs synonyme d’«être en eau», être en nage pouvant relever d’une formule ancienne, être en age, age désignant alors l’eau ou la transpiration. Cela étant, en 1640, Antoine Oudin signale déjà, dans ses Curiositez françoises, une expression similaire, «être à nage», qui pourrait aussi faire référence au milieu liquide où l’on nage. «Être à nage» pourrait ainsi être à l’origine d’être en nage.

Qu’importe après tout l’étymologie exacte, si à terme, on nage dans le bonheur! Et si c’est en ayant gagné à la loterie, la définition des verbicrucistes pour la nage convient parfaitement, qu’il s’agisse de la rivière, de la mer ou du Lotto: «Avance en liquide.»

Alice Develey et Jean Pruvost, Les mots qui ont changé totalement de sens, Paris, Mots & Caetera, 2020, pp. 82-83.

En connaître plus sur Sports et Divertissements d’Erik Satie… c’est ci-dessous!

… Et un lien vers toutes les illustrations de Charles Martin…