Un jour… Un an plus tard!

Lundi 16 mars 2020, 8H! Quelle étrange sensation. Je commence ma semaine, en principe l’une des plus chargée de l’année, en regardant mon agenda. Lundi: Cours U3A, annulé jusqu’à nouvel ordre, Mardi: Conférences à Louvain-la-Neuve le matin et cours au Conservatoire l’après-midi, annulés, mercredi: Cours et concert de l’U3A, annulés, jeudi: cours à Charleroi le matin, à La Louvière l’après-midi et à Nivelles le soir… annulés, vendredi: cours U3A et Séminaire à Mons, annulés…! Me voilà en congés forcés… de quoi souffler un peu et me ressourcer pour préparer la suite de la saison, sa fin et les activités du Festival d’été! Pourtant, ce n’est pas vraiment la tranquillité que je ressens. En bruit de fond, des nouvelles très inquiétantes, tout est fermé depuis le vendredi 13 au soir, comme si, finalement, il portait malheur… le mot désormais à la mode est anglais « Lockdown »…  et sa cause le COVID-19 dont on ne soupçonne pas encore qu’il est féminin… c’est encore plus impressionnant!

J’avais donné mon dernier cours devant une salle où seule une vingtaine de personnes s’étaient présentée. J’avais parlé de la Quatrième Symphonie de Gustav Mahler et avais été très ému en terminant en citant la phrase que le compositeur avait indiquée à la fin de son étrange final entre sourire, ironie et tragédie… « Tout ira bien pour qui peut y croire! » Mais non, hélas, tout n’allait pas bien aller. D’ailleurs qui y croyait vraiment?

À la Ferme du Biéreau à Louvain-la-Neuve pour une conférence en direct et en streaming

Un an plus tard, ce lundi 15 mars 2021 on n’y croit toujours pas! Mais ce n’est plus une croyance de même nature. On se demande quand cela va finir et comment on pourra résister encore et encore! On pensait que cela ne durerait pas que bientôt nous pourrions nous retrouver. On ne peut pas croire que ce virus est toujours là, qu’il continue de nous harceler et de nous isoler les uns des autres… et ce ne sont pas les quelques mesures annoncées qui nous rassurent quant à l’imminence de sa défaite! Pourtant, à défaut de croire, nous avions l’espoir que ce n’était qu’une parenthèse avant la reprise normale des activités. Mais bientôt, tout a basculé, le monde entier s’est mis à vaciller, les malades se sont multipliés, les victimes se sont amoncelées, devenant non plus des femmes et des hommes, mais des chiffres et des statistiques. Nous guettions chaque soir les tableaux du jour et redoutions que notre tour puisse venir… nous en personne ou certains de nos proches. Quand ma maman est tombée malade, en avril, nous avons bien cru que notre tour était venu. Fausse alerte! Ouf! Mais je ne pouvais m’empêcher de frémir en entendant les nombreuses ambulances, toutes sirènes sonnant, foncer dans ma rue… qui conduit à l’Hôpital de la Citadelle à Liège. Et lors de mes promenades dans le parc, passant devant l’entrée des urgences, j’imaginais les images vues dans les journaux, des soins intensifs, des patients sur le ventre, des souffrances inhumaines, du désarroi du personnel… les larmes dans les yeux, j’ai même observé quelques minutes, surpris moi-même d’arrêter ainsi ma marche, le ballet des corbillards récupérant, à l’arrière de l’hôpital ceux qui n’avaient plus aucune raison d’être là… non pas du voyeurisme, mais de l’empathie!

À l’Hôtel de Bocholtz pour Le Grand Liège.

Puis, de jour en jour, mon agenda s’est totalement vidé. Tout était annulé ou reporté aux calendes grecques. J’ai alors réfléchi… il me fallait exister pour ne pas dépérir! Comment? Toutes les salles de concerts, les opéras, les salles de conférences, les écoles et universités du troisième âge, tous les concerts, les opéras, le Festival de l’U3A… même le conservatoire, tout était fermé tout s’était arrêté!

Exister? Toute notre vie culturelle s’était arrêtée en même temps que cette chape de plomb qui nous était tombée dessus! Qu’allaient devenir tous les artistes, les étudiants qui perdaient leur job, les institutions culturelles…? Qui imaginait que, mise à part une petite reprise des activités en septembre et octobre, dans des conditions très difficiles, nous serions toujours dans cette même situation un an plus tard? Car tout est reparti de plus belle avec l’automne, avec la chute des feuilles! Je ne jette la pierre à personne et ne voudrais pas figurer au nombre des décideurs pour qui la quadrature du cercle et les grands écarts sont le lot journalier. Mais a-t-on vraiment pris en compte toute la société? De maladresse en maladresse, de dysfonctionnement en dysfonctionnement, d’humiliation en humiliation (je pense aux essentiels et aux non-essentiels), le temps est passé plongeant une large part de la population dans les difficultés… même si trop souvent, on nous dit que tout ne va pas si mal? J’attends avec effroi le jour où on osera nous dire que le nouveau modèle sociétal est celui qu’on vit depuis un an et qu’il faudra bien s’en accommoder!

Les Jeudis du Classique en confinement… pour la Bibliothèque des Chiroux

Alors exister encore? Qui aurait cru que la culture et des pan entiers de nos sociétés seraient abandonnés purement et simplement, sans perspective. Qui aurait pensé que la police serait amenée à évacuer un concert de 15 personnes dans une église? Qui aurait pu croire…? Mais qui voit les détresses et les désespoirs de tous ces acteurs culturels, de tous ces jeunes sans perspective ? On les voit, mais on ne peut (je n’ose pas dire « veut ») rien faire. Et ce ne sont pas que les artistes évidemment, mais le secteur de l’Horeca, de l’événementiel. … Et puis le jeunes dont on fait mine dans certains milieux de ne pas comprendre le désarroi… beaucoup se sentent abandonnés et, n’en déplaise à certaines autorités qui pratiquent de d’inadmissibles amalgames, ce ne sont pas les mêmes que ceux qui viennent casser nos villes, détruire le patrimoine et piller nos commerces! Ces amalgames sont terrifiants et se communiquent jusqu’aux médias et responsables qui lient scandaleusement les récentes exactions liégeoises avec le mal-être des jeunes!

À la Ferme du Biéreau à Louvain-la-Neuve pour une conférence en direct et en streaming

Exister? « Se réinventer! Il faut vous réinventer. » Voilà ce qu’on nous a dit! Cette expression m’exaspère car c’est comme si ce qu’on avait fait avant la COVID-19 était terminé, enterré, … à tout jamais! « Mais réinventez-vous, que diable! » Dans mon cas, et je ne suis pas à plaindre, loin de là, la solution est passée par les visioconférences, les cours en salle mais en streaming, la rédaction d’articles et l’instauration de cette série de billets « Un jour… Un chef-d’œuvre » qui m’ont permis de continuer à travailler d’arrache-pied et à ne pas perdre le contact avec mes auditeurs. Le conservatoire a mis à ma disposition une License Zoom et j’ai appris à créer des cours et conférences à distance. Les billets du blog étaient au départ un point de départ à une réflexion plus vaste sur les correspondances entre les arts, un de mes dadas! Ils sont devenus un outil pédagogique, ont pris un rôle quasi social et procurent un peu de joie et d’évasion pour les personnes en manque de culture et de contacts. Vous êtes plus de six cents à les lire tous les jours… je ne vous cache pas une certaine joie à cette idée. Au début, j’ai cru que cela ne durerait qu’un temps… puis on a pronostiqué avec humour le 100ème billet… aujourd’hui, on arrive au 200ème et je pense qu’on le dépassera allègrement! Je me prépare à ne pas revoir en chair et en os mes chers auditeurs et étudiants avant l’automne… c’est dire!

À l’Hôtel de Bocholtz pour Le Grand Liège.

Mais pour beaucoup, cette période est insupportable et c’est à eux que je dédie ce billet! À tous ceux qui souffrent de quelque manière que ce soit, ceux qui ont tout perdu, ceux qui ne voient plus d’avenir. Car on ne peut pas vivre sans perspective! On ne peut pas mettre sa vie entre parenthèse ni professionnellement, ni socialement, les deux n’étant pas incompatibles. Comment et renoncer à rire, à discuter, à vivre en société, en famille, à avoir des amis! Car si tout cela disparaît, à quoi sert la vie? On a besoin d’une vie décente.

Et quelle tristesse d’observer la marche du monde. À la merci des firmes pharmaceutiques, nous attendons d’eux le sacro-saint vaccin, le sésame qui nous permettra de renouer avec la vie d’avant… Notre égoïsme nous conduit à écraser l’autre pour notre hypothétique salut! Combien de pays mois « développés » n’ont droit à aucun soin? Et nous, nous sommes au cœur d’un des pays les plus riches au monde et nos artistes, nos plus faibles semblables, nos pauvres et tous ceux qui font les frais cette crise ne s’en sortent plus. Ils sont amenés à mendier un peu de nourriture! Les dommages psychologiques et psychiatriques sont immenses! Le suicide guette! Le séisme qui nous attend lorsque nous observerons les catastrophes collatérales de la crise ne sont pas mesurables mais génèrent dès à présent un redoutable effroi! L’Histoire analysera plus tard si nous avons bien fait d’agir comme nous l’avons fait ou si nous avons fait plus de mal que de bien… Je ne suis ni qualifié pour le dire, ni en position de juger quoi que ce soit, mais je voudrais que dans nos tourments, on n’oublie pas la phrase de Voltaire qui affirmait qu’une civilisation, c’est ce qui se souvient avec émotion et que cette émotion profonde, c’est justement les artistes et la culture si oubliés aujourd’hui qui la véhiculent par leur art! Alors soyons courageux! Redonnons espoir et soutenons la jeunesse, le monde culturel et  tous les non-essentiels qui sont pourtant aussi essentiels que chaque être humain peut l’être. Car il n’y a pas de hiérarchie entre les hommes… il serait temps de le redire haut et fort! Courage à tous et gardons espoir!