La Ligne d’Horizon…

« Autrefois, l’avenir était un horizon… ! » Cet aphorisme, presque un haïku, m’a profondément marqué lorsqu’il a été prononcé récemment lors d’une réunion à laquelle je participais. Je ne me souviens plus de l’auteur, mais depuis que je l’ai entendue, je ne cesse de me la redire, de la méditer et je mesure chaque jour à quel point et malgré son pessimisme évident, elle est d’une actualité brûlante dans le monde que nous vivons aujourd’hui.

Vous le savez, je ne suis pas un homme triste de nature et je ne pense pas être guetté par la dépression. Mais il faudrait être idiot pour continuer à penser que notre monde évolue dans la bonne direction. Entre l’effroyable pandémie qui menace de faire sombrer notre société et les conséquences inimaginables qui pourraient en résulter, les tensions de plus en plus vives entre les cultures où l’insulte et le crime remplacent la diplomatie et menacent notre liberté de penser, les catastrophes que générerait la réélection d’un fou furieux à la tête de la première puissance mondiale, l’état alarmant de notre planète,… j’en passe et non des moindres, il n’est pas facile de passer entre les gouttes, convenez-en !

Vous l’avez remarqué, il y a bien longtemps que je n’ai plus écrit un texte sur ce blog. Ce n’est évidemment pas du désintérêt, ni une extinction de mes passions, ceux qui m’ont fréquenté ces dernières semaines peuvent en témoigner ! Cela est dû à un manque criant de temps. Car, en ces temps difficiles, tout prend plus de temps que d’habitude. Passé le rush de la reprise des activités en septembre et du travail intense, comme chaque année à cette époque, pour préparer cours et conférences, se sont ajoutés des travaux « COVID-19 », c’est-à-dire des préparations de vidéos, de cours en distanciel (je n’avais jamais prononcé ce mot avant mars dernier) extrêmement chronophages par le simple fait qu’il faut acquérir de nouvelles connaissances pour appliquer de nouvelles compétences. Puis, il faut les mettre au service d’un enseignement en visioconférences un tant soit peu digne d’un cours habituel où se mêlent l’exposé de la matière, les analyses d’images et de musiques. Ensuite il faut réaliser quelques vidéos que vous suivez avec beaucoup de fidélité, je vous en remercie chaleureusement! J’ai même débuté une expérience très curieuse et pour le moins intéressante… de donner des conférences dans la salle prévue à cet effet, mais sans public avec retransmission en streaming. Présentiel et distanciel, voilà à quoi j’ai passé ces dernières semaines… la distance prenant progressivement le pas, hélas, sur la présence.

Zoom, l'appli de visioconférence qui fait un tabac – Tendances Web

Aujourd’hui, pour ceux qui consultent mon agenda sur ce blog, il est facile de constater que presque tout s’annule et de manière aussi rapide que l’explosion de cette fichue deuxième vague (on aimerait utiliser le mot « seconde », mais rien ne prouve que c’est la dernière). Je me retrouve donc à nouveau derrière mon ordinateur à développer des cours à distance, conserver au mieux les contacts avec les étudiants, à rédiger quelques textes, à préparer de nouvelles séquences pour Les Jeudis du Classique en confinement, et… peut-être l’aviez-vous deviné, à revenir vous proposer des séquences « Un jour… un chef-d’œuvre » ici même, sur le blog. Il est évident que je ne pourrai plus en faire tous les jours, mais je crois que nous dépasserons aisément la 100ème. J’envisage également de mettre en place, pour les élèves inscrits à mes cours à l’U3A, un cours régulier et à distance… comme pour mes étudiants du Conservatoire. Je vous enverrai d’ici peu un mail à ce sujet.

Mais ce billet n’est pas uniquement là pour vous parler de moi et de mes projets qui, vous le voyez sont bien nombreux ! Je voulais juste vous assurer de la persistance de ma passion ! Il s’agit surtout de vous dire sans ambages que je pense bien à vous tous, lecteurs de ce texte, en espérant que tout va bien chez vous, mais mes pensées vont aussi vers tous ceux qui souffrent… de maladie,  de peur, de solitude, de dénuement, de désespoir… Comment être indifférent à la détresse humaine ? Cette dernière question n’est pas valable qu’ici et maintenant. Les êtres humains souffrent, ont souffert et souffriront encore et ce n’est pas l’éventuelle fin de la pandémie actuelle qui y changera quelque chose. Certes elle nous soulagera sans doute, espérons-le, mais il est aussi de notre devoir de ne pas oublier les désespoirs qui sont loin de nous, ceux qui sont causés par les famines, les sécheresses, les aveuglements religieux et politiques, les guerres et les misères qu’elles génèrent… ils ne sont pas moins intenses parce qu’ils sont éloignés géographiquement.

Comment aujourd’hui est-il possible que notre nombrilisme aveuglé et notre individualisme (je voulais écrire égoïsme) consumériste triomphant n’a pas voulu voir que, d’une manière ou d’une autre, nous allions droit dans le mur ? Comment ne pas constater que nous ne sommes rien (ou bien peu de chose) dans un univers qui n’a aucunement besoin de nous ? Et comment encore sommes-nous, nous-mêmes, devenus le virus de notre planète ? Comment ne pas se souvenir de l’hybris que les anciens définissaient déjà comme l’orgueil démesuré qui conduit les hommes à leur perte ? Comment a-t-on pu ne tirer aucune leçon de leurs avertissements, pourtant répétés au cours des siècles par la sagesse savante et populaire ?

La pollution (Air . Eau . Terre) - YouTube

 

Je n’ai aucune réponse à ces terribles interrogations, ni aucune autorité pour argumenter, mais ces interrogations me font comprendre la gravité de notre maxime initiale : « Autrefois, l’avenir était un horizon ». N’aurions-nous pas pu saisir qu’il nous fallait le construire, cet horizon ? Pourtant, avouons-le, beaucoup ont tenté et tentent toujours de ne pas le perdre de vue. Mais assurément, cet horizon ne peut persister que par beaucoup plus d’humanité, de compassion, de respect, de dialogues, de compréhensions mutuelles, d’abnégation et parfois même de renoncement, en un mot, par cet humanisme qui se raréfie aussi vite que la pureté de notre air. Fabriquer l’être de demain passera, c’est sûr, par l’éducation, l’instruction, la mémoire, la culture et le message qui transite par l’art.

 

Un homme moderne doit être un homme cultivé, quoi que cela puisse coûter aux suppôts du capitalisme sauvage (ceci est dit sans aucune connotation politique, j’insiste). Pour reprendre la sagesse de Cicéron, il suffit de considérer qu’un cultivateur ensemence son champ pour y récolter un fruit, c’est une évidence. C’est un dur labeur… il cultive. Le philosophe romain ajoute qu’il en va de même pour l’esprit humain. Il faut le cultiver pour récolter le fruit de notre humanité. Et ne nous y trompons pas, il ne s’agit nullement d’une érudition élitiste. Celle-ci ne sert à rien si elle ne contribue pas à la pratique de la vie et au rapport bienveillant à l’autre. Notre société doit mettre sa priorité sur un enseignement qui inclut l’humanisme et les arts. Il est encourageant de constater que c’est à regret, pour certains du moins, que l’on soit amené à fermer les écoles et il est réjouissant de voir des professeurs de plus en plus attachés aux valeurs humanistes… au risque de leur vie parfois !

Tentons de ne rien lâcher et même, dans l’adversité, restons solidaires et respectueux. Luttons pour que les circonstances n’éradiquent pas l’humanisme. Je vous promets de continuer, comme beaucoup d’autres, à donner l’essentiel de mes forces à cette tâche considérable, mais ô combien vitale ! Prenez tous bien soin de vous, la formule est désormais banale, mais j’espère qu’elle implique, dans sa profondeur philosophique, de prendre aussi soin des autres car, jamais au grand jamais, on ne peut vraiment prendre soin de soi si l’on ne contribue pas au soin de l’autre. C’est seulement ainsi que l’avenir pourra redevenir un horizon.

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