Un jour… Un chef-d’œuvre (145)

Ah, que serait notre existence sans la musique !

Hermann Hesse

Karl Friedrich Schinkel (1781-1841), Le Palais de la Reine de la Nuit, 1815.

«Lorsque tout nous paraît désespéré, lorsqu’un ciel d’azur, une nuit étoilée ne parviennent même plus à éveiller notre enthousiasme, lorsque nous ne savons plus quel auteur lire, il arrive bien souvent que surgissent des trésors de notre mémoire : un lied de Schubert, une mesure de Mozart, un accord entendu dans une messe, une sonate – mais nous ne savons plus où et quand. Leur clarté nous arrache alors à notre indifférence et leurs mains aimantes viennent se poser sur nos plaies douloureuses… Ah, que serait notre existence sans la musique ! »
Hermann Hesse (1877-1962), L’Art de l’oisiveté .

 

Wolfgang Amadeus Mozart (1757-1791), Die Zauberflöte, Acte 2, Air de la Reine de la Nuit (Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen), interprété par Roberta Peters et le Berliner Philharmoniker, dirigé par Karl Böhm.

Le désespoir s’agite dans mon âme.
Mort et vengeance (bis) embrasent mon cœur !
Si de ta main, Sarastro ne succombe, (bis)
Je te renie, ô ma fille, à jamais.
Je te renie et te maudis,
O ma fille, à jamais !
À jamais sois maudite,
À jamais sois proscrite
Des regards de ta mère,
S’il n’expire sous tes coups!
Maudite, proscrite par ta mère
S’il n’expire sous tes coups (ter) !
Par toi, par toi, Sarastro disparaisse!
Dieux ! Dieux ! Dieux de la Vengeance
Dieux! Entendez-moi!
(Elle se précipite vers le fond. Coup de tonnerre.)

Air de la Reine de la Nuit (Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen), texte de Emanuel Schikaneder (1751-1812).

Mozart, tandis qu’il composait en 1791 son opéra pour le couronnement, La Clemenza di Tito, se rendait presque tous les jours avec ses amis dans un café non loin de son domicile, pour se distraire en jouant au billard. Depuis quelques jours, on remarquait qu’en jouant, il chantonnait tout doucement pour lui un motif, hm, hm, hm; à plusieurs reprises, tandis que l’autre jouait, il sortit un livre de sa proche, y jeta un coup d’œil rapide et puis poursuivit la partie. Comme on fut étonné de le voir un jour au piano, dans la maison de Duschek, jouer pour ses amis un beau quintette de La Flûte enchantée pour Tamino, Papageno et les trois dames (« Wie, wie, wie? » qui commence par le même motif précisément qui avait occupé Mozart pendant les parties de billard! C’était la preuve non seulement de l’incessante activité de son esprit créateur, lequel, même au milieu des amusements et des distractions, se poursuivait sans interruption, mais aussi de la puissance gigantesque de son génie, capable d’entreprendre des tâches aussi différentes au même moment. On sait que Mozart avait déjà bien avancé La Flûte enchantée avant son voyage à Prague pour composer et exécuter La Clemenza di Tito.

Georg Nikolaus Nissen (1761-1826), Biographie de W.A. Mozart, Leipzig, édition posthume, 1828, cité par H.C. Robbins Landon in 1791, la dernière année de Mozart, Paris, Fayard, 2005.