Un jour… Un chef-d’oeuvre! (31)

La soprano sfogato (soprano « ventilée ») est une mezzo-soprano qui est capable – par le travail ou le talent naturel – d’étendre sa gamme supérieure et de pouvoir englober la tessiture de soprano léger. Une soprano «naturelle» étendue vers le haut est parfois appelée soprano assoluta. C’était souvent le cas des cantatrices belcantistes du début du 19ème Siècle comme Jenny Lind, par exemple, grande amie de Frédéric Chopin et l’une des interprètes préférées de Vincenzo Bellini.

31a. Madonne dans la Prairie, 1505 (détail)

Raphaël, Madone à la Prairie, 1505-1506 (détail).

Frédéric Chopin (1810-1849), Barcarolle en fa dièse majeur op. 60, interprétée par Krystian Zimerman.

Mystiques barcarolles,
Romances sans paroles,
Chère, puisque tes yeux,
Couleur des cieux,

Puisque ta voix, étrange
Vision qui dérange
Et trouble l’horizon
De ma raison,

Puisque l’arôme insigne
De ta pâleur de cygne
Et puisque la candeur
De ton odeur,

Ah ! puisque tout ton être,
Musique qui pénètre,
Nimbes d’anges défunts,
Tons et parfums,

A, sur d’almes¹ cadences
En ses correspondances
Induit mon cœur subtil,
Ainsi soit-il !

Paul Verlaine (1844-1896), A Clymène.

¹ Du latin almus (« nourrissant, nourricier, bienfaisant »), considéré comme désuet par Malherbe, alme a été repris par les poètes au XIXe siècle.

Chopin: Le Raphaël du piano-forte

Ce surnom inspiré du peintre italien est une formule d’Heine qui s’est plu à opposer Chopin à Liszt, baptisé « Attila » des Érard. C’est aussi de Raphaël que Nietzsche rapprocha « l’inimitable Chopin ». Ce dernier, avec Mozart, est certainement le compositeur qui inspire le plus d’éloges. À Mozart, la grâce et la perfection, à Chopin celle de l’émotion pure. […] André Gide, excellent pianiste, ne se lassa jamais de jouer et d’écouter du Chopin et il lui consacra un texte en 1931.

‹ Celui qui ne connaîtrait Chopin qu’à travers les trop habiles virtuoses le pourrait prendre pour un fournisseur de brillants morceaux à effets… que je détesterais, si je n’avais su l’interroger moi-même, s’il n’avait pu me dire à voix basse: « Ne les écoutez pas. À travers eux, vous ne pouvez plus rien dire. Et je souffre bien plus que vous de ce qu’ils ont fait de moi. Plutôt être ignoré, que pris pour ce que je ne suis pas ».

J’ai souvent entendu rapprocher Beethoven de Michel-Ange, Mozart du Corrège, de Giorgione, etc. Encore que ces comparaisons entre des artistes d’un art différent me semblent assez vaines, je ne puis me retenir de remarquer combien souvent s’appliquent également à Baudelaire les remarques que je puis faire au sujet de Chopin, et réciproquement. […]

L’un et l’autre ont un semblable souci de perfection, une égale horreur de la rhétorique, de la déclamation et du développement oratoire; mais surtout je voudrais dire que je retrouve chez l’un et chez l’autre un même emploi de la surprise, et des extraordinaires raccourcis qui l’obtiennent. […]

… Un Chopin trop sentimental. Il l’était, hélas! mais il n’était pas que cela. Oui, certes, il y a le Chopin mélancolique et qui même obtint du piano les plus désolés des sanglots. Mais, à entendre certains, il semble qu’il ne soit jamais sorti du mineur. Ce que j’aime et dont je le loue, c’est qu’à travers et par-delà cette tristesse, il parvient pourtant à la joie; c’est que la joie en lui domine (Nietzsche l’avait fort bien senti); […] une félicité qui rejoint celle de Mozart, mais plus humaine, participant à la nature, et aussi incorporée dans le paysage que le peut être l’ineffable sourire de la scène au bord du ruisseau dans la Pastorale de Beethoven.

Avant Debussy et certains Russes, je ne pense pas que la musique ait encore jamais été pénétrée de jeux de lumière, de murmures d’eau, de vent, de feuillages. Sfogato (ventilé), inscrit-il; aucun autre musicien a-t-il jamais usé de ce mot, eut-il jamais le désir; le besoin d’indiquer cette aération, cette bouffée de brise, qui vient, interrompant le rythme, inespérément rafraîchir et parfumer le milieu de sa barcarolle?»

André Gide, Notes sur Chopin (extrait), publié dans Le Goût de la Musique, textes choisis et présentés par Ariane Charton, Paris, Mercure de France, 2014, pp.92-94.

31b. Sfogato Barcarolle Chopin

31a. Madonne à la Prairie, 1505

Raphaël, Madone à la Prairie, 1505-1506.

31d. Raphaël, Portrait de femme, 1515.

Raphaël, Portrait de femme, 1515.