La beauté sans la grâce attire, mais elle ne sait pas retenir ; c’est un appât sans hameçon.
Maxime Planude (né vers 1255/1260- mort vers 1305/1310).
Sandro Botticelli (1445-1510), Le Printemps (entre 1478 et 1482).
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Symphonie concertante pour violon et alto en mi bémol majeur K.364, deuxième mouvement Andante, interprété par Julia Fischer (violon), Gordan Nikoloc (alto) et le Netherlands Chamber Orchestra dirigé par Yakov Kreizberg.
« Pris dans un sens strictement esthétique, le terme de grâce désigne un certain état d’équilibre esthétique satisfaisant qui se réalise au sein de différents types de mouvements, gestes ou attitudes – l’attitude pouvant se définir comme un geste arrêté ou un mouvement figé dans le repos. Liée par nature au mouvement, la grâce peut donc être considérée comme une valeur esthétique correspondant à un certain idéal de beauté dans la mobilité; elle est donc toujours de l’ordre du temps.
Si la grâce représente ainsi une valeur esthétique, le terme gracieux, lui, sert à désigner une catégorie esthétique que l’on attribue à toute réalité dans laquelle s’incarne cette valeur de grâce. Par opposition au gracieux, le disgracieux se caractérise non par une simple absence de grâce, mais par la présence d’éléments dont les effets vont à l’inverse de ceux de la grâce (lourdeur, disharmonie,…).
Quelles que soient les modalités sous lesquelles elle se révèle à nous, la grâce exige toujours la réalisation d’un certain nombre de conditions. En premier lieu, il convient que toute apparence d’effort soit exclue de l’impression produite par l’accomplissement du mouvement. Même s’il y a effort, celui-ci doit impérativement rester inaperçu; sinon il contredit la grâce. Tout en effet doit évoquer l’aisance, la facilité, la légèreté, et presque l’abandon; tout ce qui, au contraire, impose le sentiment d’une gêne, d’une difficulté, d’une lourdeur ou d’une entrave nous conduit irrémédiablement vers le disgracieux. […]
Outre cette impression d’aisance spontanée et de souple élasticité, la grâce suggère toujours l’idée d’un certain dépassement des limites naturelles, ce qui faisait dire à Raymond Bayer qu’elle « affirme à côté d’une esthétique du facile, une esthétique de l’inespéré« . Incarnation d’une réussite esthétique qui va toujours au-delà de ce que nous pouvons attendre ou espérer, la grâce nous apparaît comme l’actualisation d’une perfection que l’on ne pensait pas accessible. De ce fait, il émane toujours d’elle un mystérieux pouvoir d’irradiation […].
Dans le domaine des arts plastiques, il s’agit de l’élimination de tout ce qui donne une impression de pesanteur et de lourdeur, recherche de l’élégance et de la sveltesse des tracés […] Le mouvement gracieux en peinture comme en sculpture apparaît comme un mouvement ralenti et adouci où tous les angles s’arrondissent, où tout appui semble s’amortir et où toute mobilité s’exprime en un équilibre ondoyant et flexible. […]
Dans le domaine de la musique, la grâce résulte prioritairement d’un certain allègement de la matière sonore auquel le compositeur parvient par l’estompe des appuis ou le déplacement des accents, le balancement ou l’ondoiement des figures rythmiques, la flexibilité ou la plasticité ornementale des lignes mélodiques, la mobilité ou l’instabilité des enchaînements harmoniques, le privilège accordé aux nuances d’intensité atténuées, ou encore le choix d’une instrumentation réduite. À côté de cet allègement du matériau, le gracieux en musique implique une continuité parfaitement liée et sans heurt de l’énoncé musical, qui se manifeste aussi bien par l’importance du mode de jeu legato que par la qualité particulièrement raffinée des transitions mélodiques et harmoniques ou des enchaînements de nuances et de timbres.»
Étienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Paris, Presses Universitaires de France, 1990, pp. 841-842.