L’Instinct de Vie…

Des vacances de Pâques bien remplies en préparations diverses et un voyage au Maroc avec, en ligne de mire, une conférence à Casablanca m’ont  quelque peu éloignés du blog. Ce ne sont pourtant pas les sujets qui manquent, mais quand mon emploi du temps pourrait me le permettre, il m’arrive, comme cette semaine, que mes propos me semblent dérisoires face à la gravité du monde. N’en déplaise à certains commentateurs des réseaux sociaux qui ont des avis sur tout, il y a des moments où je préfère me taire, tout simplement ! Il y a des jours où l’émotion forte et les larmes sont utiles. Elles permettent une catharsis et un retour sain vers les valeurs que nous défendons. Pleurer n’est pas renier et se taire n’est pas ignorer! Celui qui ne pleure jamais au fond de lui-même garde en lui une terrible souffrance qui se mue parfois en violence.

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Face à l’horreur, chacun réagit… comme il peut ! Mais un peu de recueillement, de modestie et de simplicité humaine, face à tout ce qu’on peut voir, lire, entendre, dire ou crier m’a permis de rester moi-même et de continuer à parler sereinement de musique toute cette semaine à ceux qui m’ont fait l’honneur de m’écouter. Car inévitablement, l’art révèle l’Homme, je l’ai souvent dit, et cette semaine fut en ce point riche, comme tant d’autres. Entre un article sur Anna Bolena de G. Donizetti pour l’ORW, une conférence sur La Traviata aux Chiroux, W.A. Mozart à Casablanca, au lendemain de l’incendie de Notre-Dame de Paris, le Huitième Quatuor de D. Schostakovitch à Liège, œuvre dédiée à la mémoire des victimes du fascisme et de la guerre, et un gros travail sur les Variations Goldberg de J.S. Bach, véritable parcours initiatique, la déclinaison était éloquente et les leçons humaines bouleversantes. Il résulte de ce travail comme une sorte de communion avec la tragédie du monde, mais, et c’est là aussi l’essentiel, un espoir certes un peu utopique, mais indispensable à la vie qui continue.

Ruines de Dresde en 1945. Schotakovitch écrira son 8ème Quatuor en 1960 à la vue de la ville non encore reconstruite.

Et c’est avec impatience que, en ce dimanche pascal, jour aussi de mon anniversaire, que je retrouvais mes chers Coteaux de la Citadelle sur les hauteurs de Liège. Au hasard de ma promenade matinale, en sillonnant les sentiers cent fois arpentés où j’aime, dans la solitude, me retrouver moi-même, que mes pensées m’ont conduit une fois encore, comme je l’écrivais déjà en 2016 à la suite des attentats de Bruxelles, à une sorte de prise de conscience. La nature, elle aussi, torturée par le temps et les accidents, reprend toujours le dessus. La vie l’emporte sur la mort.

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Il est évidemment facile de dire cela lorsqu’on est paisible et en sécurité. Mais le sommes-nous vraiment ? On voit qu’une tempête peut s’abattre à tout moment et n’importe où. Les nationalismes montent partout inexorablement, réveillant les démons assoupis ! Même les choses que nous croyions immuables peuvent partir en fumée en quelques heures. La violence aveugle peut frapper partout, comme ce matin au Sri Lanka. La pauvreté extrême, les discriminations de tout poil, la crise économique et l’indécence de certains nantis sans le moindre sens de leur démesure côtoient l’impuissance et l’incompétence d’autres et augmentent les rancœurs, créent des fossés de plus en plus infranchissables. Les colères grondent.

Sri Lanka aujourd’hui

Dans un monde où la nuance n’existe plus, où tout est forcément blanc ou noir, on ne fait plus la différence entre une cathédrale, joyau de l’Occident, et une simple pierre. Toute la création du génie humain semble ne plus avoir d’importance. On veut juste consommer ! Et quand on a conscience de la valeur et de l’utilité d’un patrimoine culturel, on fait mine de ne pas comprendre les frustrations de ceux qui ont faim, froid et soif ! Amalgames, haines, avis non documentés et partisans du n’importe quoi dressent les hommes les uns contre les autres en de stupides querelles qui, je l’ai lu, vont jusqu’à inciter à la guerre civile (images ci-dessous, extrait d’un message Facebook particulièrement stupide et dangereux!) ! Certains, mais ils sont rares, gardent leur sang-froid et sont au-dessus de la mêlée… pour combien de temps encore ?

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Rien de plus ridicule que ces commentaires Facebook complètement idiots et irresponsables!

Il est évident qu’une grande partie de l’humanité souffre et que c’est absolument intolérable. C’est vrai dans nos pays, il n’y a eu que rarement, dans les dernières décennies, tant de pauvreté, c’est vrai aussi dans les pays où sévissent les famines, les guerres, les dictatures,… où survivent dans des conditions innommables et inhumaines tous les oubliés de notre monde et pourtant nos semblables ! La banalisation de ces états de fait est catastrophique. Je me fais souvent la réflexion que, enfant, quand nous croisions, lors d’une ballade en ville, un sans-abri, c’était un choc bouleversant. Cela ne l’est pas moins de nos jours, mais sur la même promenade qu’autrefois, il y en a aujourd’hui plus de dix !… Et on ne les regarde même plus ! Que faire à titre individuel ?

Il est vrai, également, que de grandes fortunes ont parfois l’indélicatesse et l’insolence d’étaler ouvertement et à grand renfort de publicité leurs millions et l’usage qu’ils veulent en faire. S’il est aussi interpellant que les actions menées pour la planète restent lettres mortes, et que sauver notre seule Terre impliquerait un tel bouleversement des modes de vie actuels que personne ne mesure vraiment leur impact sur la vie des hommes, s’il est vrai, enfin qu’un sentiment de catastrophe imminente envahit les populations du monde et que la peur et l’impuissance raidit les âmes, alors que faire, que penser, comment aborder un tel monde ?

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Et pourtant, on peut être attaché au patrimoine historique sans être indifférent à la pauvreté des nôtres, il n’y a pas besoin d’être chrétien pour souhaiter la rénovation de Notre-Dame. Il n’y a pas besoin d’être musulman pour être profondément ému par l’art islamique. Il n’y a pas besoin d’être riche pour aimer l’art et la culture et il n’est pas une règle qui mène les riches à l’indifférence vis-à-vis de la pauvreté ! Il n’y a pas besoin de vivre au Sri Lanka pour ressentir la douleur de l’autre comme il n’y a pas besoin d’être pauvre pour lutter contre les inégalités ! Il suffit d’être humain, d’être doté d’un peu d’empathie et de modestie. Il suffit de comprendre l’urgence et la multiplicité du monde… mais c’est encore, je le crains, une utopie quand on lit les inepties déversées sur les réseaux sociaux et qu’on observe la marche du monde !

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Les Tombeaux saadiens à Marrakech (fin du 16ème siècle), photo JMO 2019

Le cheminement à travers les sentiers des coteaux se présente toujours pour moi comme une révélation. Un sentier, c’est l’image du temps qui passe. Regarder où l’on va, c’est envisager et préparer le futur. Regardez devant vous et vous voyez l’avenir. Bientôt, vous passerez par l’endroit que vous apercevez déjà, mais jamais, vous ne savez ce qui viendra entraver ou non votre progression. Se retourner, c’est voir où on est passé et parfois… ce qu’on n’a pas vu au moment où nous passions. C’est l’expérience accumulée ! On ne remonte certes jamais dans le passé, mais nous pouvons l’observer et y découvrir des causes, des origines et des conséquences. C’est la culture et l’esprit critique qui génère l’homme responsable. Et pendant que nous marchons, c’est le présent. À chaque pas, le présent grappille de l’avenir et le transforme en passé. C’est la loi de la vie, celle qui nous lie indissociablement au temps et que la musique, art du temps par excellence, nous révèle si bien… mais que l’on n’enseigne plus dans les écoles ! Le meilleur remède aux maux du monde réside dans l’enseignement… partout et pour tout le monde !

01. Caspar David Friedrich, Le Soir, 1821.
Caspar David Friedrich, Le Soir.

Mais sur le chemin des coteaux se trouvent aussi les marques de la vie et de la mort. Tel grand arbre, pourtant si fort, foudroyé au hasard par la foudre, telles branches, ou membres, arrachés par la tempête… la Nature est tragique aux yeux de l’Homme. Elle n’a pourtant nul dessein et nulle intention. C’est par anthropomorphisme que nous lui en attribuons. Elle est notre destin. En observant ce mastodonte des bois déraciné, mort et en décomposition, comment ne pas éprouver de l’empathie ? Comment ne pas y voir la métaphore de la victime humaine d’un hasard effroyable ? Pourquoi cet arbre là ? Pourquoi cette femme, cet homme, cet enfant, ce vieillard-là ? Mauvais endroit ! Mauvais moment ! Rien d’autre ! C’est d’autant plus bouleversant. Quelqu’un est-il gravement malade ? On tente de le soigner. Un autre a atteint un âge très avancé, on sait que son chemin s’achève. Mais tous ces gens innocents… pourquoi eux ? Ç’aurait pu être, mutatis mutandis, mon épouse, ma fille, ma maman, mon frère, un ami,… moi ! Comme l’arbre qui ne s’y attendait pas !

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Mais toujours en cheminant, comment ne pas sentir que quelque chose a déjà commencé. La nature reverdit ! Elle renaît. La vie l’emporte sur la mort ! Car dans la régénérescence de la nature, se trouve le symbole de la vie qui gagne malgré tout ! Cette négation de la vie qui annihile tant des nôtres, par le geste destructeur ou l’inaction est ridicule et témoigne d’une véritable inconscience ! Et voilà que, tout près du gros arbre abattu, un autre présentait ses bourgeons. Oh ! Ils sont encore fragiles, mais ils témoignent de la vie qui, irrésistiblement, va prendre le dessus a déjà pris le dessus. Ce matin, le printemps triomphait !

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Il y aura encore des orages et des tempêtes. Certains arbres seront encore abattus, foudroyés, déracinés, mais toujours la vie sera plus forte. Pour moi qui ne crois pas en un dieu, je trouve qu’il y a là de quoi nourrir l’idée de la résurrection qui, contre vents et marées, justement en ce jour de Pâques où l’on fête celle du Christ, offre à tous, croyants ou non, un magnifique symbole de renouveau et avec lui, un espoir magnifique ! Comme j’aimerais y croire… !