Premier récital…

Ce que ne m’avait pas dit la jeune Tamara Durand, 18 ans et déjà altiste de premier plan, c’est que le concert qu’elle allait donner à l’U3A le 9 novembre dernier était son tout premier récital. Je l’aurais su que cela n’aurait rien changé. J’ai toujours entière confiance en Mana Yuasa qui me l’avait conseillée et qui l’accompagnait ainsi qu’en son professeur, Pierre-Henri Xuereb, qui m’avait confirmé son grand talent. Et puisqu’il faut bien commencer un jour, je suis très fier que ce soit dans le cadre des Concerts de l’U3A qu’elle l’ait fait… et de quelle manière !

Un tout grand merci à Jean Cadet pour les superbes photos du concert.

En proposant un programme ambitieux et très copieux, Tamara avait choisi de nous montrer la diversité de son art. Impossible ici de commenter en détail l’entièreté de son récital, mais j’ai tout de même très envie de mettre en évidence ses énormes qualités qui promettent une belle évolution dans les prochaines années.

Tamara Durand débutait avec la transcription pour alto de la difficile suite n°5 pour violoncelle solo du grand Bach. Cette suite est la plus polyphonique des six et existe d’ailleurs aussi dans une version pour luth de la main du maître. Elle demande donc une belle conduite des voix, une compréhension des phrasés et une justesse à toute épreuve, ce que notre jeune musicienne possède au plus haut point. Si l’on peut gager que son jeu se bonifiera encore à l’avenir, surtout au niveau de la présence et de la maturité musicale, particulièrement dans la profonde sarabande, ce qu’elle nous a donné à entendre est vraiment exceptionnel et d’une très rare qualité. Interprétant la suite incomplète, Tamara gardait la gigue finale pour un bis bien enlevé à l’issue du concert.

Si les deux des Quatre visages de Darius Milhaud séduisent par leur poésie, leur lyrisme et quelques fois, leur fausse naïveté, la Paix, tirée de l’acte III du célèbre ballet Coppélia ou la Fille aux yeux d’émail (1870) de l’auteur de l’opéra célèbre Lakmé, Léo Delibes nous bouleverse. Le ballet écrit d’après le conte L’Homme au sable de Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, offre un sublime pas de deux très célèbre. Cette « Paix » est interprétée, que dis-je, habitée par notre altiste… un moment magique que le piano inspiré de Mana Yuasa contribue à encore à rehausser.

Quelques instants de pause et voici un retour dans les temps avec le Concerto pour alto de Carl Stamitz, frère d’Anton et fils de Johann, un compositeur originaire de Bohême mais surtout grand représentant de l’École de Mannheim, le lieu de toutes les innovations de la musique préclassique. Carl est né à Mannheim et y occupe un poste de second violon jusqu’en 1770 puis se rend à Paris, puis à La Haye. Cheval de bataille des altistes, ce concerto dont nous écoutions les deux premiers mouvements, montre non seulement l’équilibre de la forme du concerto classique à venir, mais surtout une belle virtuosité très exigeante qui rappelle Haydn et Mozart. Tamara s’y sent manifestement comme un poisson dans l’eau et laisse chanter son alto tout en se plaçant au-dessus des innombrables difficultés techniques. L’Andante chante merveilleusement et nous emporte à nouveau vers les sommets ! Bravo ! Pour la petite histoire, on se souviendra que la grande altiste Tabea Zimmermann avait, en 1982, à l’âge de 16 ans remporté le fameux Concours de Genève avec ce même concerto.

Restait un morceau de bravoure, un chef-d’œuvre absolu, les magnifiques Images de contes de fées, les quatre Märchenbilder Op.113 de Robert Schumann, composés en 1851. On connait l’attrait de Schumann pour le fantastique et le féerique. La modernité de ces pièces tient certes dans l’évocation de contes, mais aussi dans la première manifestation de l’usage d’un alto en dehors des sonates et concertos. Voici donc notre virtuose du jour portée dans le romantisme fantastique et mélancolique du compositeur, lui-même transporté par sa fascination et ses souvenirs d’enfance. Mais les contes de fées ne sont-ils destinés qu’à l’enfance ou sont-ils partie constituante de notre mémoire, de notre inconscient…? En tous cas, il nous habitent et continuent de signifier en véhiculant leurs profonds archétypes psychologiques. Quand, à leur tour, il se restituent avec la musique, ils sont autant interprétation de la musique de Schumann que confession intime de l’interprète. Tamara chante, nous confie ses rêves et ses inquiétudes, ses mélancolies et ses humeurs. C’est profondément touchant ! Et Mana Yuasa, une partenaire, une amie et presque une maman, porte cette musique avec la conviction de comprendre intimement et Schumann et Tamara. Quel moment de fusion et d’osmose ! Le public ne s’y trompe pas et réclame un « bis ».

Bach, qui avait ouvert le premier récital de Tamara Durand, le refermait également par la gigue évoquée plus haut. La salle bien remplie et surtout médusée par ce jeune et extraordinaire talent applaudissent à tout rompre et félicitent chaleureusement nos deux artistes pour le bonheur qu’elles nous ont offert.

Et si quelques mélomanes absents lors de ce concert désirent écouter Tamara Durand, qui a réussi récemment son entrée en classe d’alto au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP), excusez du peu, elle se produira encore dans le cadre de nos concerts Musique aux Tawes le 10 juin 2023 à 20H avec le magnifique pianiste Zacharie Tavier… un concert à ne pas manquer.

Très tard pour rédiger ce petit billet, les agendas sont particulièrement chargés ces temps-ci, j’en profite pour rappeler à tous que le deuxième récital de notre saison des Concerts de l’U3A se déroulera mercredi 7 décembre à 18H dans notre chère Salle 11… Nous recevrons avec joie Daniil Arsenew au violon, Camille Jadot au trombone et Zora Novotnà au piano… c’est ouvert à tous et ce sera magnifique ! Voici l’affiche où se trouvent toutes les informations pratiques.