Un jour… Un chef-d’oeuvre! (32)

Le Triomphe de la Musique humaniste… c’est par ici, c’est chez Mozart et ça vaut la peine d’écouter jusqu’au bout! La Musique est bonheur!

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Marc Chagall (1887-1985), Maquette pour Le Triomphe de la musique, 1966 (détail).

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Die Zauberflöte, K.620, Acte 2, scène de l’épreuve du feu et de l’eau (Tamina et Pamino).

« UN HUMANISME MUSICAL

Lorsqu’on évoque la symbolique de la Flûte enchantée, le pouvoir de la musique se place certainement à la première place, comme le note Dieter Borchmeyer: « La musique y est la contre-force humanisante aux pouvoirs élémentaires, ceux d’une nature hostile (feu et eau), des animaux sauvages ou du monde désordonné des affects de l’homme. Elle est capable de changer les passions, d’harmoniser les pulsions agressives en sentiments philanthropiques car ses sonorités sont bienfaisantes et éloignent les menaces. La musique s’ouvre elle-même à une sorte d’humanisme musical ».

On en trouve une très belle illustration dans cette scène, où Tamino, Papageno et les trois Dames, après que la première d’entre-elles a remis la flûte d’or au jeune prince chantent en chœur:

Cette flûte a plus de prix 
que l’or et les couronnes,
car elle accroît la joie
et le bonheur des hommes.

Cette perspective humaniste entre en écho, probablement de manière inconsciente, avec la Déclaration des droits américaine de 1776 qui faisait de la recherche du bonheur un des droits inaliénable de l’humanité. Quant aux propos tenus juste avant par les trois Dames sur les pouvoirs de la flûte magique, ils sont proches de ceux de la Musica dans l’Orfeo de Monteverdi:

Elle te donne un grand pouvoir,
celui de changer les passions.
L’affligé sera tout joyeux,
le solitaire tombera amoureux.

Nous avons étudié, au fil des chapitres, un certain nombre de scènes dans lesquelles les instruments magiques sauvent les personnages de situations dangereuses ou embarrassantes. À cet égard, la plus émouvante et emblématique est celle de l’épreuve du feu et de l’eau. Alors que tout est désordre et désolation autour d’eux, que les éléments se déchaînent, Tamino et Pamina, enfin réunis, vont trouver en l’amour et en la musique les soutiens nécessaires pour poursuivre leur chemin vers la lumière:

Wir wandeln durch des Tones Macht
Froh durch des Todes düstre Nacht!

Par la magie de la musique, nous traversons
sans peur les ténèbres de la mort!

Quel moment saisissant de beauté et de vérité! Et cela, avec la plus grande économie de moyens. Pamina guide Tamino au travers des éléments et lui a demandé de jouer de son instrument magique. Or, la flûte traversière à trois clés n’est pas très riche en harmoniques et sa sonorité n’est pas très marquée. Elle est accompagnée ici par un souffle léger et discret de quelques cuivres (trombones, trompettes munies de sourdines), le tout sur un dessin mélodique des plus simples, ponctuées par des timbales assourdies jouées avec douceur. C’est le calme et la sérénité (dans la lumineuse tonalité d’ut majeur) qui règne en ce moment décisif car, en dépit du danger encouru, le jeune couple a confiance en la musique et en l’amour qui les relie à jamais, ces deux forces transcendantes vecteurs de leur transformation.

32c. Marc Chagall, Maquette pour le décor de la Flûte enchantée, 1966-1967.

Marc Chagall, Maquette pour le décor de la Flûte enchantée, 1966-1967.

Il ne faudrait pas pour autant oublier les clochettes magiques de Papageno qui nous valent également des moments de pure magie musicale. Ainsi, au second acte, après que l’oiseleur, désespéré, a envisagé de se suicider, les trois Garçons, tels des anges, apparaissent et lui rappellent le pouvoir surnaturel de son instrument:

Fais donc sonner tes clochettes,
elles feront venir ton amie.

Le tempo de la musique s’accélère, comme le battement du cœur de l’intéressé (« Klinget, Glöckchen, klinget »), puis le miracle se produit: une jeune, jolie et sensuelle Papagena surgit sur la scène, comme un cadeau des dieux! Papageno est désormais le plus heureux des hommes…»

Éric Chaillier, La Flûte enchantée, Opéra merveilleux et multiple, Paris, Fayard, 2017, pp. 244-247.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Die Zauberflöte, K.620, Acte 2, Papagena, Papagena (Papageno et Papagena, les trois Garçons).