Un jour… Un chef-d’œuvre (187)

Je veux qu’on m’apporte présentement dans un bassin d’argent…

 

Gustave Moreau (1826-1898), L’Apparition (Salomé), détail.

Richard Strauss (1864-1949), Salomé Op. 54, Scène 4, La Danse des Sept Voiles, interprétées par l’Orchestre de l’Opéra allemand de Berlin, dirigé par Giuseppe Sinopoli.

Les événements dont Gustave Moreau tire sa scène sont d’abord décrits dans deux passages parallèles du Nouveau Testament.

« … Et quand la fille dudit Hérodias entra, dansa et fit plaisir à Hérode et à ceux qui étaient avec lui, le roi dit à la jeune fille : Demandez-moi tout ce que vous voudrez, et je vous le donnerai. Et il lui jura : Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai dans la moitié de mon royaume. Et elle sortit et dit à sa mère: Que demanderai-je ? Et elle a dit : La tête de Jean-Baptiste. Et elle entra tout de suite en hâte auprès du roi, et demanda, disant : Je veux que tu me donnes pas à pas dans un chargeur la tête de Jean-Baptiste. Et le roi était extrêmement désolé ; pourtant, pour son serment et pour ceux qui étaient avec lui, il ne la rejetterait pas. Et aussitôt le roi envoya un bourreau, et ordonna de lui apporter la tête ; et il alla le décapiter dans la prison, et apporta sa tête dans un chargeur, et la donna à la jeune fille : et la jeune fille la donna à sa mère. »

— Marc 6 : 21-29, LSG

Une version plus courte apparaît dans l’Évangile de saint Matthieu :

« Mais le jour de l’anniversaire d’Hérode, la fille d’Hérodias a dansé devant eux : et a fait plaisir à Hérode. Sur quoi il promit avec serment de lui donner tout ce qu’elle lui demanderait. Mais elle étant instruite auparavant par sa mère, a dit : Donnez-moi ici dans un plat la tête de Jean-Baptiste. Et le roi fut frappé de tristesse : cependant, à cause de son serment, et pour ceux qui étaient assis avec lui à table, il ordonna qu’il soit donné. Et il envoya et décapita Jean dans la prison. Et sa tête a été apportée dans un plat : et il a été donné à la jeune fille, et elle l’a apporté à sa mère. »

— Matthieu 14 : 6-11, DR

Extrait du livret de l’opéra de Richard Strauss d’après la pièce d’Oscar Wilde (1854-1900), Didascalie de la danse et début du dialogue suivant, Scène 4, 1905.

Salomé

Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste
Sire je danserais mieux que les séraphins
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste
En robe de comtesse à côté du Dauphin

Mon cœur battait battait très fort à sa parole
Quand je dansais dans le fenouil en écoutant
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton

Et pour qui voulez-vous qu’à présent je la brode
Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain
Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode
L’emmenèrent se sont flétris dans mon jardin

Venez tous avec moi là-bas sous les quinconces
Ne pleure pas ô joli fou du roi
Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse
N’y touchez pas son front ma mère est déjà froid

Sire marchez devant trabans marchez derrière
Nous creuserons un trou et l’y enterrerons
Nous planterons des fleurs et danserons en rond
Jusqu’à l’heure où j’aurai perdu ma jarretière
Le roi sa tabatière
L’infante son rosaire
Le curé son bréviaire

Guillaume Apollinaire (1880-1918), Alcools, recueil de poèmes (1913)

Guillaume Apollinaire s’inspire des mythes antiques et légendes en 1890. Le poème Salomé appartient au recueil Alcools publié en 1913. Apollinaire revisite ici le thème biblique de la danse de Salomé et le transpose dans un univers différent. Ce texte évoque en fait la peine causée par Annie Pleyden la jeune gouvernante anglaise qui a éconduit le poète. La cruauté de la jeune fille est transposée sur le plan légendaire et il donne ici un sens universel à sa situation, en voyant au travers de ces figures féminines l’illustration de l’éternel féminin.

Gustave Moreau (1826-1898), L’Apparition (Salomé).