Un jour… Un chef-d’œuvre (215)

La caricature est une forme de comique.

Umberto Eco

Louis Léopold Boilly (1761-1845), Une loge, un jour de spectacle gratuit.

THE HOFFNUNG SYMPHONY ORCHESTRA: Gerard Hoffnung (1925-1959), musicien et dessinateur allemand, tubiste de formation, surtout connu pour ses œuvres humoristiques et ses caricatures.

Dans la mémoire collective des mélomanes, Gerard Hoffnung occupe une place particulière, rendu célèbre par ses dessins humoristiques et pour plusieurs séries de concerts hilarants au Royal Festival hall de Londres au cours des années 50. Son style excentrique et décalé, respectueux toutefois envers la musique classique, en fait un phénomène unique dans le paysage artistique du XXᵉ siècle. (ResMusica)

Le laid, apparu en second, dépend dans son concept de celui du beau. Il retourne le sublime en vulgaire (dans le sens premier du mot, c’est moi qui ajoute), le plaisant en déplaisant, ce qui est absolument beau en caricature où la dignité devient emphase, le charme coquetterie. Dans cette mesure, la caricature est le sommet de la déformation du laid, mais c’est précisément pour cela qu’elle devient comique: parce qu’elle se reflète d’une certaine manière dans l’image opposée positive qu’elle a déformée. Jusqu’ici, on a toujours décelé dans le laid le point où il peut devenir ridicule. En se détruisant eux-mêmes, l’amorphe et l’incorrect, le vulgaire et le déplaisant peuvent engendrer une réalité apparemment impossible, et donc le comique. Toutes ces déterminations se retrouvent dans la caricature. Elle aussi devient amorphe et incorrecte, vulgaire et déplaisante, en passant par tous les degrés de ces concepts. Elle dispose dans ce domaine d’une variété inépuisable de versions, de combinaisons caméléonesques. La grandeur petite, la force faible, la majesté brutale, l’insignifiance sublime, la grâce pataude, la grossièreté délicate, le non-sens sensé, la plénitude vide et mille autres contradictions sont possibles. Dans cette mesure, nous avons déjà exposé indirectement le concept de caricature. Mais plus exactement, celui-ci consiste dans l’exagération d’un élément d’une figure jusqu’à la rendre informe. Mais cette définition demande encore à être restreinte même si dans l’ensemble, elle est vraie.

En effet, l’exagération elle-même a une limite. […] Pour expliquer la caricature, il faut donc ajouter un autre concept à celui d’exagération: la disproportion entre un élément d’une figure et sa totalité, donc l’abolition de l’unité qui devrait exister selon le concept de cette figure. En effet, si la figue était également agrandie dans son ensemble ou réduite dans toutes ses parties, les proportions resteraient les mêmes, et comme chez les personnages de Swift, cela ne produira pas de laideur particulière. Mais si une partie ressort de l’unité de manière à abolir la proportion normale, cela entraînera donc, puisque celle-ci demeure dans les autres parties, un déplacement, un gauchissement de l’ensemble, qui est laid. La disproportion nous oblige à sous-entendre sans cesse la proportion. Un nez fort, par exemple, peut être d’une grande beauté. Mais s’il est trop grand, il cachera trop le reste du visage. Il en résulte une disproportion. Nous comparons sans le vouloir sa taille avec celle des autres parties du visage, et nous jugeons qu’il ne devrait pas être aussi grand. Or sa taille excessive ne fait pas seulement de lui, mais aussi du visage auquel il appartient, une caricature. […]

Mais ici aussi, il nous faut poser une limite. En effet, la seule disproportion pourrait avoir pour conséquence une simple laideur, mais sans que l’on puisse déjà parler de caricature. […] Il faut encore que l’exagération qui déforme la figure, agissant comme une exagération dynamique, tire la totalité de la figure dans le même sens. Sa désorganisation doit devenir organique. Ce concept est le secret de la genèse de la caricature. Dans sa disharmonie, la pathologie d’un élément du tout donne naissance malgré tout à une certaine harmonie.

Karl Rosenkranz (1805-1879), L’esthétique du laid, cité par Umberto Eco (sous la direction de), Histoire de la laideur, Paris, Flammarion, 2007, p. 154.

Quentin Metsys (1466-1530), Le Contrat de vente.