« Ma symphonie ne se rapporte pas à Auschwitz, ni à la guerre, ni au terrible régime dont nous avons souffert avec Staline…ce sont simplement trois petites mélodies » H. Gorecki (1993)
Henryk Gorecki (1933) est né à Czernica dans le sud de la Pologne. Il étudie la musique tardivement à partir de 1950 à Katowice et à Paris au début des années 1960. Il passe la plupart de son temps dans son pays, la Pologne, où il enseigne et compose une musique profondément imprégnée de la culture et de l’âme locale. Reconnu internationalement, il reste attaché à son identité, considérant son héritage culturel et ses traditions comme le moteur premier de son art.
Sa musique couvre une grande variété de styles. Ses premières œuvres, proches du sérialisme de Pierre Boulez, sont le résultat de sa découverte des musiques de Webern, de Messiaen et de Stockhausen. Le résultat éclectique de ces influences lui apporte un style qui petit à petit s’oriente vers le minimalisme. On le compare souvent à Arvo Pärt dans son souci de réutiliser des formes anciennes inspirées par sa foi et de les traiter avec une harmonie simple et répétitive (écoutez le Miserere op.44, une merveille !).
Son œuvre la plus connue est la troisième symphonie pour orchestre et soprano dite « des chants plaintifs ». L’interprétation de Dawn Upshaw avec le London Sinfonietta dirigé par David Zinman enregistrée par Warner Music en 1992 va amener ce modeste homme à la notoriété mondiale. Le succès inattendu va propulser Gorecki au sommet des ventes de disques pendant plusieurs mois. L’œuvre, d’une sensibilité très forte, dépasse et de loin le cercle des amateurs de musique classique et devient l’emblème de la douleur suscité par les guerres. Ce succès ne lui montera pas à la tête et son refus de composer une messe pour les commémorations des 50 ans de la fin de la guerre en 1995 témoigne d’une modestie et d’une lucidité sincère. Il refuse d’écrire un Credo puisque les victimes de la guerre ne sont guère d’une seule confession religieuse et considère qu’un Gloria n’est guère adapté à de tels événements.
La troisième symphonie date de 1976 et se compose de trois mouvements. Le premier, en forme de canon gigantesque, se présente comme un énorme crescendo qui aboutit à l’entrée de la chanteuse. Celle-ci entonne une lamentation tirée de la collection des « chants Lysagora » du monastère de Sainte Croix dans la seconde moitié du XVème siècle. La Vierge Marie y chante sa douleur au pied de la croix d’une manière tragique accompagnée des lentes harmonies de l’orchestre et du glas de la cloche. Ce bref chant laisse à nouveau la place au canon qui, en un decrescendo lent revient au silence halluciné.
Le deuxième mouvement est chanté d’un bout à l’autre. Une longue phrase montante et descendante par vague est accompagnée par une sorte de berceuse aux cordes. Le balancier du temps, immuable et douloureux place le texte au-delà d’une tragique anecdote. Il est la reproduction d’un texte découvert sur les murs d’une cellule de la prison de la Gestapo à Zakopane en Silésie en 1944 et rédigé par une jeune fille de dix-huit ans : « Maman, ne pleure pas, Vierge très pure, reine du ciel, protège-moi toujours, Ave maria pleine de Grâce ». Inutile de dire que la perception tragique du mouvement nous plonge au sein même de la détresse humaine quelle qu’elle soit.
Attention. Ce film n’est pas facile à regarder, mais il témoigne de toute l’horreur des guerres et des persécutions gratuites qui animent l’être humain. On a l’impression que l’homme perd ses repères pour devenir pire que l’animal car ce dernier n’organise jamais des holocaustes et des génocides. Âmes sensibles s’abstenir !
Le dernier mouvement, dans une immobilité qui semble toucher à l’éternité, se détache une chanson populaire polonaise dans laquelle une mère pleure son fils disparu. Progressivement, l’orchestre sort de sa torpeur. Bientôt, il ressemble à un orgue et débute un chant de consolation sur les mots de la chanteuse : « Chantez pour lui, petits oiseaux du Seigneur, puisque sa maman ne peut pas le trouver, et vous, petites fleurs, fleurissez alentour pour que mon fils puisse dormir content ». C’est presque un choral minimaliste qui ressemble à nouveau à une berceuse. Il n’annule pas la douleur, mais la porte bien haut à la conscience des hommes comme l’essence du deuil. L’œuvre se termine dans une étrange sérénité par de longs accords majeurs tenus par l’orchestre et le silence qui suit est d’une intensité pénétrante.
Si aucun argument précis n’illustre l’œuvre, elle s’adresse à tous, supprimant les frontières de la musique et de l’émotion car la douleur est partout la même et, dans la tourmente, peu importe la nationalité ou la couleur de la peau… c’est sans doute pour cette raison que l’œuvre a connu un tel succès mondial. Elle dépasse les clivages et les époques.
Si la version mentionnée plus haut reste une référence incontournable pour la discographie de l’œuvre, j’ai tout de même un faible pour l’interprétation de la soprano Ingrid Perruche (avouez que pour une chanteuse, le nom est prédestiné !) accompagnée par l’orchestre Sinfonia Varsovia dirigé par Alain Altinoglu et paru chez Naïve en 2005. Ne me demandez pas pourquoi car je crois qu’il s’agit ici d’une simple concordance du timbre général de la pièce avec ma sensibilité personnelle. Je n’ai strictement rien à reprocher à la version célèbre de Dawn Upshaw, mais lorsque j’entends celle-là, je frémis davantage…à chacun sa vision !
