Petite semaine consacrée à l’immense Gustav Mahler. Je l’ai déjà évoqué sur ce Blog, mais j’avais envie, en cette fin d’été, d’en reparler un peu plus en détail. Evoquer tout Mahler est impossible dans le cadre de quelques messages comme ceux-ci. La monumentale édition de Henry-Louis de La Grange parue chez Fayard en trois gros volumes comblera tous les amateurs du compositeur. Pas de cela ici, seulement quelques impressions et coups de cœur pour un artiste qui dépasse, et de loin, l’idée d’un art musical dédié au délassement et à la joie.
La faveur dont jouit aujourd’hui la musique de Gustav Mahler auprès des mélomanes et des musiciens résulte sans doute de la prise de conscience de son caractère universel. Il n’en fut pas toujours ainsi. Les régimes totalitaires du milieu du XXe siècle interdirent la diffusion de ses œuvres sous des prétextes faussement philosophiques et ethniques. En effet, G. Mahler était né d’une famille israélite germanophone quelque part en Bohême. Converti au catholicisme par obligation « politique », il était surtout un homme en quête d’absolu.
Condisciple de Hugo Wolf (1860-1903) au conservatoire de Vienne, il admire Wagner et Bruckner plus que Brahms. Optant pour la double carrière de chef d’orchestre et de compositeur, il déploie une énergie et une efficacité inouïes pour accéder au sommet de son art. Très vite considéré comme l’un des plus grands chefs vivants, il passe du modeste orchestre de Ljubljana (1881-1882) à la prestigieuse direction de l’Opéra de Vienne (1897). Ses séjours à la tête de l’Opéra de Budapest (1888) et surtout de Hambourg (1891) où Bruno Walter devient son assistant, dévoilent un personnage à l’envergure exceptionnelle. Ses immenses qualités d’administrateur et son intransigeance musicale font de lui un directeur admiré et redouté.
Menant de front deux activités presque incompatibles, il se consacre à la composition durant les mois d’été. Amoureux de la nature sauvage des montagnes, il s’isole à Maiernigg dans les Dolomites pour favoriser l’instant créateur. Son œuvre s’élabore lentement dans le calme, loin du stress et de l’agitation de la ville et de l’opéra.
De sa rencontre en 1902 avec la séduisante Alma Schindler, de vingt ans sa cadette, naît l’un des plus célèbres romans d’amour de l’histoire. Sincère, passionné et orageux, le couple sera inséparable jusqu’à la mort de Gustav en 1911, partageant gloire et revers dix ans durant.
En 1907, les « trois coups du destin » frappent le compositeur. Mahler perd son poste à Vienne suite à des attaques antisémites, sa fille aînée meurt subitement en juillet à l’âge de cinq ans et on lui découvre la maladie cardiaque incurable qui lui sera fatale.
Invité à New York par le directeur du Metropolitan Opera, il partage son temps entre la saison d’opéra aux Etats Unis et l’été dans les montagnes autrichiennes, renonçant pour raison de santé à ses sports favoris (randonnée et natation). Les deux dernières saisons se passent à la tête de l’Orchestre philharmonique de New York. Une grave crise conjugale amène Mahler à consulter S. Freud et à se faire psychanalyser. En mars 1911, une angine à streptocoques l’abat comme un arbre. Il est rapatrié en catastrophe à Paris puis à Vienne. Il y meurt le 18 mai 1911 en dirigeant, de son lit, un orchestre imaginaire.
L’héritage de Gustav Mahler est abondant et varié. Un pas décisif s’est accompli dans l’art de la direction d’orchestre. Les témoignages de ses disciples Bruno Walter et Otto Klemperer s’accordent pour saluer en lui la précision des tempi, l’intensité expressive et la clarté absolue de sa gestique. Il est, avec Hans von Bullow et Richard Strauss, un pionnier de la direction moderne.
Son œuvre est à la fois vaste et réduite. Quelques cycles de lieder avec orchestre (Lieder eines fahrenden Gesellen, Wunderhorn Lieder, Lieder sur des textes du poète Rückert, Kindertotenlieder, Das Lied von der Erde, …) et dix symphonies dont la dernière est inachevée contituent l’essentiel de sa production. Cependant toutes ses créations sont monumentales. Elles dévoilent chaque fois un véritable univers esthétique et philosophique. Celui-ci correspond parfaitement à l’é
volution psychologique du compositeur et témoigne de ses profondes interrogations existentielles. Aucune œuvre n’est le fruit du hasard. La musique de Mahler semble générée par une puissante nécessité intérieure qui le pousse à se livrer entièrement et sans concession. Ainsi, pas à pas, nous suivons le parcours d’un homme depuis ses origines mythiques (première symphonie « Titan » en 1888). Nous le retrouvons dans son évolution philosophique à la recherche d’un Absolu qui se veut d’abord religieux (deuxième symphonie « Résurrection » en 1894) puis panthéiste (troisième symphonie en 1896). Viennent ensuite la grande désillusion traitée sur le ton de l’ironie (quatrième symphonie en 1900) et le profond pessimisme qui en résulte (cinquième en 1901-02, sixième en 1904 et septième en 1905). Une petite lueur d’espoir semble poindre dans le détachement du second Faust de Goethe (huitième symphonie « des Mille » en 1906). En fin le triple coup du destin et la certitude de la mort prochaine, terrifiante et apaisante à la fois, qui sonne comme un éternel adieu, hors du temps, déjà un peu ailleurs (Chant de la Terre en 1908, neuvième symphonie en 1909 et adagio de la dixième en 1910).
Le parcours est complexe et éprouvant. Ces œuvres ne constituent pas des opus séparés et divisibles à souhait. Elles sont, plus que chez tout autre compositeur, le fruit de l’évolution d’une pensée unique. Elles forment donc un ensemble homogène et indissociable. On ressent l’œuvre de Mahler comme une seule et vaste symphonie seulement compréhensible dans son unité et délivrant un message initiatique de premier ordre pour l’Etre Humain. Tout est dans tout, mais ce « tout » évolue et se transforme à l’image de la vie de l’homme.
Léonard Bernstein et l’Orchestre Philharmonique de Vienne jouent un extrait de la première symphonie
A suivre…