Fervent plaidoyer

  

J’entendais hier, au journal de 13H de la RTBF, un reportage consacré à l’enseignement musical des enfants qui se présentait comme une bonne illustration de la fête de la musique. Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre des propos stupides et non fondés de la part d’intervenants professionnels du milieu musical (directeur d’Académie, professeurs et autorités diverses). 

Mais d’abord les bons points. La musique est bien présentée comme appartenant à tous et à toutes ce qui doit être encore souligné. Les Fêtes de la musique remplissent magnifiquement ce postulat. S’il faut se réjouir que la fête soit diversifiée (près de 900 concerts gratuits à travers la Communauté française de Belgique) et propose, sur le modèle de nos voisins français, l’accès à tous les types de musique, on ne peut cependant pas laisser dire n’importe quoi sur son enseignement et sur ce qu’elle est réellement. 

D’abord, on apprend que le violoncelle est un inhabituel et nouvel instrument qui rencontre de plus en plus de succès dans les académies de musique. C’est faux. Le violoncelle est enseigné depuis plus de vingt ans dans la plupart des établissements et, si des jeunes se tournent vers le violoncelle, ce n’est pas un fait nouveau résultant d’une mode, mais une continuité naturelle. Il suffit d’observer le nombre de petits violonistes et pianistes pour se rendre compte que le violoncelle n’est pas plus à la mode qu’un autre. Quant à dire que c’est un instrument spécial…il est tout de même à la base de la musique de chambre et des orchestres symphoniques !


 

Jeune fille au violoncelle


Mais il y a plus grave. On observe, ces dernières années une baisse considérable de la fréquentation des écoles de musique. On regrette que les jeunes ne s’y ruent pas « malgré un solfège beaucoup plus facile qu’avant ». On se dit aussi que la deuxième place d’un belge, Lorenzo Gatto, au récent Concours Reine Elisabeth va relancer l’enthousiasme des enfants belges et de leurs parents pour la musique. Mais c’est une vaste hypocrisie ! 

D’abord, il faut vraiment le vouloir, en Belgique, pour apprendre la musique. Ce ne sont pas les Académies qui sont en cause, c’est l’infrastructure générale de l’enseignement qui ne favorise nullement les activités culturelles en dehors de l’enseignement fondamental. Il faut des enfants très motivés pour se mettre à travailler le solfège et l’instrument quand on a terminé ses devoirs scolaires. Au moment où les enfants ont aussi besoin de se relaxer, il leur faut avoir le courage de faire des gammes, des exercices tous les jours, car la musique n’est pas une activité qu’on pretique une fois par semaine. C’est tous les jours de l’année ! Il faut aussi des parents motivés autant, plus sans doute, que les enfants pour les soutenir dans un tel apprentissage et consacrer du temps à amener, trois fois par semaine, l’enfant au cours et à veiller à ce que le travail soit efficace, régulier et enrichissant. Cela limite beaucoup la population susceptible de tenter et surtout de poursuivre l’aventure. Il suffit d’interroger un professeur pour comprendre facilement que beaucoup commencent la musique, mais qu’une majorité abandonne aussi vite…trop contraignant !


 

Solfège enfant
 


 

Souvent, les parents et les enfants se voyaient déjà au top niveau des virtuoses. Ils ne soupçonnaient pas la redoutable difficulté de l’apprentissage de la musique. Alors comment a-t-on réagi chez les pédagogues ? On a simplifié le solfège ! C’est tout simplement ridicule et les professeurs concernés directement sont tous d’accord pour affirmer que le solfège, cela ne se simplifie pas. Le solfège, c’est l’apprentissage de la lecture, de la théorie et l’éducation de l’oreille. C’est donc bien la formation de base. C’est un peu comme si on disait qu’il n’est plus utile de savoir lire un texte pour faire du théâtre ou de ne pas connaître les chiffres pour faire des mathématiques ! Simplifier le solfège est un geste de nivellement par le bas qui, d’abord, n’a pas ramené les élèves dans les écoles de musique, mais a, ensuite, rendu les jeunes musiciens des analphabètes de la musique (pas tous heureusement !). Les professeurs d’instrument vous le diront : ils ne savent pas lire la musique. Ils n’entendent pas bien, ils ne connaissent pas les rudiments de l’harmonie ou de la phrase musicale…et l’histoire de la musique…n’en parlons pas !. C’est une réelle catastrophe dont témoigne le triste niveau (en comparaison avec d’autres pays et même régions belges) de nos jeunes musiciens. Non ! Un texte est un texte il doit être compris par l’élève avec l’aide d’une pédagogie adaptée à l’âge, certes, mais pas en rognant sur les compétences qui doivent être acquises au bout du cur
sus. Et le prétexte de l’amateurisme ne justifie rien. L’amateur a autant besoin d’apprendre le langage pour l’utiliser, même modestement. On confond là la vraie valeur de l’amateur qui demande, lui aussi, de vraies compétences.


 

Gatto Lorenzo

Lorenzo Gatto


Mais ne croyez pas non plus que le niveau exceptionnel de Lorenzo Gatto soit le résultat et le reflet de l’enseignement belge. Il est avant tout le fruit d’une vraie passion et d’un vrai talent, d’un parcours de combattant aidé par un environnement familial propice qui n’est pas représentatif de l’état de la musique chez nous. Il reste un cas exceptionnel et c’est formidable d’en arriver là. Qu’on mette en avant l’enseignement remarquable de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth est justifié, mais qu’on ne vienne pas dire qu’il représente le niveau des musiciens belges (qui y sont d’ailleurs peu nombreux). Qu’on ait envie d’en faire autant est louable et souhaitable, mais il faut raison garder, ce n’est pas le but que doit avoir d’abord l’école de musique. Son rôle est celui de faire en sorte que la musique fasse partie de la vie, pas seulement pour les virtuoses privilégiés. Il faut que la musique, comme tout élément culturel, s’intègre à l’existence du plus grand nombre (et plus si affinités, selon la formule consacrée), sous toutes ses formes. C’est bien là que se trouvent nos particularités humaines, dans la capacité que nous avons de créer, de penser notre passé artistique qui, lui, est le reflet de notre histoire. 

Mais c’est vrai, la tendance actuelle est de tout simplifier, comme s’il fallait absolument éviter de contraindre les gens à produire un effort. Tout est mâché, simplifié, superficiel et facile. Mais la vie, elle, est-elle facile ? Nous courrons un grand danger à tout simplifier de la sorte et à rendre le commun des mortels incapable de se penser lui-même, car c’est bien le résultat qu’on obtient. A force de raboter les outils pédagogiques culturels, on finira par ne plus savoir qu’outils il y a ! La conséquence, c’est que plus rien de non matériel n’a de la valeur. J’entendais récemment un enfant disant qu’il voulait jouer du violon pour posséder un « Strad » (car c’est ainsi qu’on le nomme dans les milieux branchés, parfois sans savoir de quoi « Strad » est l’abréviation) et devenir riche ! C’est un contresens absolu. Le plus déprimant est que ses parents souriaient et applaudissaient en entendant leur enfant plein d’avenir ! Mais regardons autour de nous ; combien de fois n’a-t-on pas mis l’accent, lors de ce dernier concours de violon, sur les musiciens qui jouent sur un de ces instruments… la presse à sensation ne retient que cela de la culture, ce qui peut la relier au matérialisme primaire. Mais demandez à ces auditeurs éblouis par l’instrument « magique », après une écoute à l’aveugle, lequel des interprètes jouaient sur le « Strad », pas un ne pourra vous le dire (et moi non plus d’ailleurs !). Car ce n’est pas là l’important ! 

L’important, il me semble, c’est que la fête de la musique soit, pour tous, une joie, une saine découverte de la diversité de nos environnements sonores, que le fête en soit une sans arrière pensée démagogique, qu’elle soit l’occasion de prendre la mesure de notre culture…et des autres ! Je souhaite que tous ceux qui travaillent tous les jours de l’année et à tous les niveaux de la musique soient fêtés et remerciés, ce jour-là, et que nous prenions conscience que sans la musique et les arts, donc sans eux, nous ne serions pas ce que nous sommes !


 

Cours de musique


Je termine en vous montrant les bonnes et sincères intentions des établissements musicaux belges qui, dans leur charte reprenant les projets éducatifs et pédagogiques déclarent :  

« Concourir à l’épanouissement des élèves en promouvant une culture artistique qui éveillera la faculté créatrice personnelle et suscitera l’apprentissage des divers modes d’expression par l’analyse des messages véhiculés. Les objectifs pédagogiques qui en découlent prendront en compte, par des choix méthodologiques judicieux, au sein des domaines enseignés et de manière interactive : 

  1. l’intelligence artistique de l’élève, à savoir sa capacité de perception de la cohérence du langage artistique.
  2. la maîtrise technique de l’élève, à savoir sa capacité à dominer l’utilisation des él&ea
    cute;ments techniques propres à chaque spécialité
  3. l’autonomie de l’élève, à savoir sa capacité à développer un processus d’auto apprentissage
  4. la créativité de l’élève, à savoir sa capacité à se servir librement d’un langage artistique en vue d’une réalisation originale 

Privilégiant une relation de dialogue et d’échange avec les élèves, l’équipe éducative saisira toutes les opportunités de libérer le potentiel artistique et créateur de chaque personnalité. 

L’ensemble de ces objectifs devra promouvoir une pédagogie de la réussite impliquant que la démarche de formation artistique sera également humaine, sociale et pourra s’il échoit, rencontrer les exigences requises pour accéder à l’enseignement supérieur artistique ». (Académie de Musique Grétry à Liège, projet éducatif 2009-10, page 10) 

Si notre société donnait les moyens réels de remplir cette noble charte, nous serions, à n’en pas douter, au faîte de la pratique musicale d’aujourd’hui. 

Bonne fêtes de la musique !


 

Fêtes de la musique