Quel Brahms… !

 

Après un formidable premier concerto publié l’année dernière (http://jmomusique.skynetblogs.be/post/5733058/les-couleurs-du-printemps), Nicholas Angelich et l’Orchestre de la Radio de Frankfurt dirigé par Paavo Jarvi continuent sur leur lancée en publiant, chez Virgin, le monumental second concerto pour piano de Johannes Brahms.


 

Brahms 1883


 

Plus de vingt ans après le premier concerto, particulièrement sombre et d’une écriture très symphonique, Brahms triomphe d’emblée avec son  épique deuxième concerto. D’une longueur inhabituelle approchant les 50 minutes, l’œuvre est révolutionnaire tant au niveau de sa forme qui s’apparente à une symphonie avec ses quatre mouvements et son scherzo inusité dans la forme concertante que dans ses rapports entre le soliste et l’orchestre. Tout le piano de Brahms s’y trouve condensé. Entre l’écriture très dense et robuste de certains passages et l’entrain, voir la légèreté de certains passages du final, des formules rapides, le deuxième concerto ne ménage pas le pianiste qui, tantôt au premier plan sonore, tantôt traité comme un instrument de l’orchestre, reste présent durant toute la pièce. Il s’agit, en fait, d’un grand dialogue entre les masses sonores plus que d’un concerto au sens traditionnel du terme.


 

Brahms, Concerto 2


 

Le Deuxième de Brahms est donc, pour toutes ces raisons, l’une des œuvres qui demande le plus de maturité de la part des interprètes. Les pianistes l’abordent généralement assez tôt, mais ne parviennent à un niveau correct qu’assez tard dans leur évolution. Il m’a toujours semblé que le concerto était vraiment trop dur musicalement pour les jeunes interprètes des concours. Dur ? Je m’explique. Pour réaliser la symbiose nécessaire entre l’orchestre et le soliste, il faut avoir dépassé, et de loin, l’esprit de virtuose « star » et cette maturité met parfois beaucoup de temps à s’acquérir. Mais ce n’est pas tout. L’œuvre de Brahms, par sa texture, son abstraction, son manque d’argument extra musical, sa matière polyphonique  et son sens de l’harmonie et des couleurs automnales, demande un vécu musical et un expérience de la vie rares chez un tout jeune musicien. C’est la raison pour laquelle la discographie de Brahms est bien délicate … et peuplée des monstres sacrés des interprètes ;  Emil Gilels et son légendaire enregistrement avec l’Orchestre philharmonique de Berlin dirigé par E. Jochum (DGG), Sviatoslav Richter dans une vision unique de l’œuvre avec l’Orchestre symphonique de Chicago dirigé par E. Leinsdorf  (RCA), Léon Fleisher et l’Orchestre de Cleveland dirigé par G. Szell (SONY), … sont le fond de commerce de base du répertoire.


 

Brahms, Gilels, Berlin, Jochum DGG


 

Nicholas Angelich, malgré une relative jeunesse(il est né en 1970), possède magistralement son Brahms. Pianiste américain, il donne son premier concert après avoir reçu des leçons de sa propre mère, à l’âge de sept ans en donnant, avec orchestre, le concerto n° 21 de Mozart. Installé à Paris à l’âge de treize ans, il poursuit ses études au Conservatoire national supérieur de Paris auprès des grands pédagogues et interprètes que sont Yvonne Loriod, Aldo Ciccolini ou Michel Béroff. Il s’illustre ensuite dans plusieurs concours internationaux et reçoit de nombreux prix pour ses enregistrements discographiques. Il y fréquente souvent Brahms et ses trios et quatuors avec piano édités chez Virgin sont des merveilles récompensées par les critiques. Un double album solo reprenant les œuvres tardives du compositeur démontre que le dernier Brahms, dans toute sa condensation et sa concision n’a aucun secret pour lui. C’est, à mon sens l’un des meilleurs cd’s de ces dernières années.


 

Brahms Angelich


 

Il joue à travers le monde entier et l’OPL nous a souvent donné l’occasion de l’entendre à Liège en concerto et en récital. C’est à chaque fois un véritable enchantement. Le personnage est très étrange. Il ressemble, dans sa démarche et son air absorbé à un homme absent qui vit dans son propre monde. Pourtant, cet extra-terrestre de la musique semble avoir tout compris des subtilités de l’âme et lorsqu’il se met au clavier, c’est la vie qu’il raconte à un niveau d’émotion si intense que personne n’y reste insensible. C’est encore de cette magie qu’il s’agit dans ce superbe enregistrement qui remue l’âme. Il est magnifiquement servi par l’Orchestre de la Radio de Frankfurt et son chef formidable, Paavo Järvi qui, malgré son emploi du temps surchargé, parvient &agra
ve; soigner magistralement les couleurs si particulières de Brahms et ses longs phrasés lyriques.



 

 

Le cd est magnifiquement complété par les huit pièces pour piano (Klavierstücke) de l’opus 76. Quatre pièces fantasques (Capricci) et quatre autres méditatives (Intermezzi) forment ce recueil emblématique du romantisme allemand. On y frôle l’esprit de Schumann, l’impromptu de Schubert, la palette de Mendelssohn et les états d’âme nordiques si typiques de Brahms. Quel travail sur le rythme et ses subtilités, quelles audaces expressives dans les flottements harmoniques des intermezzi !   

Un cd de haute volée spirituelle à découvrir absolument et à « digérer » lentement pour le « savourer » longtemps…