En 1841, Robert Schumann écrit une Fantaisie pour piano et orchestre. Il concevait cette étrange pièce comme « un juste milieu entre la symphonie, le concerto et la grande sonate ». Elle deviendra, quatre ans plus tard le premier mouvement de son concerto en la mineur op. 54. En 1845, en effet, il y greffe un intermezzo et un final s’adaptant ainsi à la forme classique du concerto. Les éditeurs préféraient également commercialiser un concerto plutôt qu’une pièce isolée. Les goûts romantiques aimaient la compétition entre un soliste et le gros de l’orchestre.

L’oeuvre fut créée à Dresde le 4 décembre 1845 par Clara au piano et le chef d’orchestre Ferdinand Hiller, le dédicataire du concerto. Ce fut Mendelssohn qui en fit la reprise quelques jours plus tard, le 1er janvier 1846, à Leipzig.
Le concerto ne trouva pas un succès immédiat. Il n’avait pas été conçu comme un concerto de bravoure. Il faut d’ailleurs signaler à ce sujet que si de nombreux pianistes le mettent à leur répertoire, fort peu de candidats l’intègrent à leurs programme de concours. Schumann s’était, en effet, écarté de toute virtuosité démonstrative. Il ne fait aucun doute que la blessure à la main droite, qui, suite à une utilisation forcenée des machines pour muscler les doigts, l’immobilisa dès 1842 ait été déterminante dans son choix de devenir compositeur. De la sorte, il s’empêchait également de devenir le concurrent de Clara dont la carrière pianistique allait être prestigieuse. Il n’avait d’ailleurs jamais eu l’intention de composer pour la virtuosité pure. Il avait confié à sa bien-aimée en 1839 qu’il ne pouvait pas écrire comme les autres. Il devait trouver autre chose.
E fait, cet autre chose est le style propre à Schumann, peu pianistique, mettant toujours le pianiste dans des positions délicates, peu orthodoxes, à l’image de sa propre personnalité instable et tourmentée (relire éventuellement les deux textes publiés les 2 et 3 août), obligeant l’interprète à entrer dans son âme malade et sujette aux humeurs les plus mélancoliques (Eusébius) et les plus ravageuses (Florestan).
Le concerto est en trois mouvements: Allegro affettuoso, Intermezzo: Andantino grazioso et Final: Allegro vivace. Les deux derniers mouvements s’enchaînent sans interruption.
Après le concerto pour piano, Schumann écrira encore deux autres pièces pour piano et orchestre, l’Introduction et Allegro appassionato en sol majeur op. 92 en 1849 et l’Introduction et Allegro concertant en ré mineur op. 134. L’oeuvre concertante de Schumann comprend encore deux œuvres plus tardives, le Concerto pour violoncelle de 1850 et le fameux concerto pour violon, en 1853 dont je vous ai parlé récemment (Note: Concerto ultime, le 3 août).
Il semble que le lyrisme exceptionnel de l’œuvre contribue à sa popularité. Edvard Grieg semble s’en être inspiré dans son propre concerto pour piano dans la même tonalité et d’une structure et d’un lyrisme assez proche. Pourtant l’œuvre de Grieg ne dévoile pas de message schumannien. L’homme ne tenait pas le même propos et n’était pas atteint par la même vision de monde que Schumann. La parenté des deux œuvres ne tient qu’à la forme, pas au contenu.
Et si vous avez une petite vingtaine de minutes pour écouter la version que nous livre ici Emil Gilels du premier mouvement, je suis sur que vous ne le regretterez pas. Ici tout est musique, tous les moyens techniques et virtuoses sont mis au service de l’expression musicale. Bonne écoute.