Tomas Luis de Victoria

 

Je me suis rendu compte, lors du récent quizz de musique classique organisé à la Fnac à la fin du mois d’octobre, que peu de mélomanes connaissaient la musique ancienne espagnole. L’exemple de Tomas Luis de Victoria (1548-1611), entendu en aveugle lors de cette séance, n’avait été reconnu par personne. Vous pourrez le réentendre ci-dessous. Je ne sais pas si le fait d’avoir pratiqué la guitare, donc la musique espagnole, de nombreuses années a porté ma curiosité sur l’histoire très riche de la musique de la péninsule ibérique, mais j’y suis sensible depuis de nombreuses années. Voici un aperçu, rapidement tracé, du siècle d’or de cette musique.

 

La musique espagnole du XVIème siècle, tout comme la peinture, trouve une nouvelle vigueur dans la religion.

Toutes les influences étrangères qui avaient contribué à donner à la musique  ibérique une couleur orientale et surtout arabe fusionnèrent dans la musique populaire. Dans le courant de la Renaissance, ces particularités sonores (comme l’usage de la seconde augmentée qu’on retrouvera dans le flamenco et de modes originaux) se synthétisent dans un répertoire chanté à la suavité particulière et développent un répertoire instrumental populaire axé sur le luth et la vihuela.


 vihuela-1 


Instrument proche de la guitare (elle n’en est pas l’ancêtre), ce petit instrument peu sonore est d’abord lié aux musiciens de rue. Il obtient ses lettres de noblesse avec Luys Milan, musicien au service de la cour du duc de Valence qui publie en 1536 un recueil de pièces pour l’instrument. Composé essentiellement de pavanes et de fantaisies, ce corpus nous montre non seulement les possibilités contrapunctiques de la vihuela, mais aussi son penchant pour une musique ornementée et méditative. L’œuvre de vihuela de Milan sera à l’origine du développement de la musique soliste de l’époque. La fameuse fantaisie « à la manière de la harpe de Ludovic » d’Alonso de Mudarra, dans son ornementation et ses arpègements angéliques, portent l’instrument au sommet de ses possibilités.


 Ange jouant de la vihuela à 11 cordes


L’organiste et compositeur Antonio de Cabezon (1510-1566) développe un art du clavier éminemment espagnol. Travaillant sur les formes en variations (Tiento et Differencias), il permet une rencontre entre l’art profane de la musique populaire virtuose et le sérieux de la musique sacrée. Ses œuvres pour ensembles de violes ou pour orgue sont emplies d’une grande spiritualité méditative, même lorsque le point de départ de ses variations est une chanson française ou une romance de gardien de vaches.

 

C’est pourtant dans la musique religieuse que la musique espagnole trouve la voix qui correspond le mieux à son siècle rempli de catholicisme. La violence de la réaction face à la toute récente Réforme protestante suscitée en partie par l’influence italienne sur les penseurs et les hommes de pouvoir, contribue à donner à l’Espagne le mysticisme qu’on lui connaît. Les extases de Sainte Thérèse d’Avilla, la cruauté de l’Inquisition, les « croisades » de Saint Ignace de Loyola et la forte imprégnation religieuse de la famille royale se répercutent sur la population (cela ne l’empêche pas de chanter et de danser) et les artistes de toutes les disciplines.


  Thomas Luis de VictoriaTomas Luis de Victoria


 

Parmi les musiciens, Tomàs Luis de Victoria, compositeur de musique chorale, est considéré comme l’un des plus grands artistes espagnols. Il se joint au combat contre la Réforme et devient prêtre en 1575. Pendant son voyage en Italie, il découvre la musique de Palestrina qui représente l’essence de la Contre-réforme (Réforme catholique). Par ses pleines et larges harmonies, par un contrepoint dense et complexe, la musique du Vatican entend mettre un frein aux abus constatés depuis des décennies (intégration de chansons populaires, grivoises parfois, dans la musique religieuse) et rendre à l’art des sons la fonction d’honorer la gloire et la puissance de Dieu. L’art de Victoria est unique, comme celui du peintre Zurbaran. Il allie la grande musique palestrinienne et l’émotion passionnée espagnole. En recherchant dans la dissonance la profondeur de l’âme et la contemplation, il se différencie d’une musique italienne qui, avant les madrigalistes, répugne à l’utilisation d’une rhétorique douloureuse.

 


  Victoria O Magnum Mysterium

O Magnum Mysterium de Victoria


Sous plusieurs aspects, la musique de Victoria est mystique et expérimentale. La mélodie y joue un rôle important et le mystère qui s’en dégage n’est pas loin des extases contemplatives. Ses audacieux motets et son requiem composé sous le choc de la mort de la reine en 1603 figurent parmi les plus belles œuvres de son temps. Prenez le temps d’écouter ce superbe « O Magnum Mysterium » en suivant la partition. Vous y découvrirez toute la maîtrise de la polyphonie et de son savant et émouvant alliage avec l’harmonie naissante.


 

L’œuvre de Victoria trouve un écho représentatif dans celle d’Alonso Lobo, un artiste qui exploite une musique chorale austère et minimaliste. Sa recherche d’une émotion plus forte encore que chez son collègue nous indique le passage de la Renaissance au baroque espagnol, mais cela, c’est encore une autre histoire… !

 

7 commentaires sur “Tomas Luis de Victoria

  1. Débat apaisé donc, et merci d’avoir nuancé vos propos… Je ne doute nullement de votre intérêt pour la musique espagnole, ce qui ressort parfaitement de votre billet! Par ailleurs, n’oubliez pas les « autres » périodes de la musique espagnole pour les faire connaître et partager avec vos lecteurs fidèles, malheureusement pas encore bien connues des mélomanes.
    Merci encore de votre réponse ci-dessus.
    Cordialement, Cristina Diego

  2. Bonjour,
    Je ne doute pas de vos connaissances en la matière. Mais je crois que vous avez « pris la mouche » de manière déraisonnable face à un billet qui se voulait généraliste, qui ne prétendait pas être une thèse de doctorat et qui pourtant ne trahissait pas l’esprit de la musique espagnole du XVIème siècle, puisqu’il ne parlait pas exclusivement de Victoria.
    Et même si le fait que ce dernier n’a écrit que de la musique religieuse et que la richesse de sa polyphonie ainsi que la magie de son traitement des voix ne peut pas représenter pour vous un forme de mysticisme, alors c’est que ma définition du mot n’est pas la même que la vôtre. Il me semblait que la transcendance (religieuse ou pas) pouvait être nommée par le terme mysticisme. Mais soit, c’est une querelle de mots. Pour ma part, j’en utilise le sens donné par la plupart des dictionnaires courants et généralistes. Wikipédia résume bien le sens courant: « Le mysticisme ou la mystique a trait aux mystères, aux choses cachées ou secrètes. Dans la religion, il désigne un ensemble de croyances et de pratiques qui permettraient à l’homme d’entrer en contact direct avec l’Être, le divin, la divinité ou Dieu. Il existe aussi cependant, hors de tout cadre religieux défini, des personnes qui « ont connu des extases en tous points semblables à celles décrites par les grands mystiques [religieux].» C’est dans ce sens que j’ai employé le terme, rien de plus.
    Je sais également que beaucoup a été dit sur le règne de Philippe II et qu’une caricature de son obscurantisme avait été véhiculée durablement par ses adversaires (en particulier dans les Flandres). Son règne a été sans doute plus progressiste qu’on le dit souvent. Cependant, nier que la religion catholique, celle de la Contre-réforme, et l’Inquisition aient joué un rôle décisif sur sa politique intérieure et extérieure me semble également une simplification de l’Histoire.
    Mais si vous relisez le billet dans son intégralité, vous verrez que le billet ne critique pas, mais vante la diversité de la musique espagnole.
    J’ai sans doute été un peu maladroit en formulant ce paragraphe. J’espère qu’ainsi expliqué, nous pourrons apaiser notre débat…

  3. Bonjour,
    Je vois que mon commentaire vous a fortement déplu et je suis d’accord avec vous sur le fait que l’on peut ne pas être d’accord… Je continue à penser que vous simplifiez les faits et je peux vous dire sans vouloir être prétentieuse que j’ai beaucoup lu sur l’Histoire de l’Espagne du XVIe siècle, sur l’Inquisition en Espagne et sur Philippe II en particulier. Je nie donc l’attribution du terme « mysticisme » à la musique de Victoria: sur ce point, la bibliographie est abondante et facile à trouver sur internet. Je ne critique point votre blog, dont le contenu est intéressant, mais je persiste et signe en ce qui concerne votre appréciation contestable de la musique espagnole de cette période. En tout cas, mon intention n’est pas de vous irriter: tout débat peut être apaisé, me semble-t-il…
    Et je signe: Cristina Diego Pacheco, Maître de Conférences à l’Université, spécialiste de musique espagnole de la Renaissance.

  4. Vous semblez n’avoir jamais rien lu à propos de Philippe II d’Espagne et de l’Inquisition…! Nieriez-vous ce pan de l’Histoire de l’Espagne?
    Évidemment, un billet sur la musique espagnole sur un blog n’a pas la prétention de réécrire l’histoire espagnole du XVIème siècle. Les choses sont évidemment bien plus subtiles que cela… Ne me dites pas que vous ne l’avez pas compris…!
    Nieriez-vous aussi le côté mystique et religieux de la musique de Victoria? Ne peut-il exister par ailleurs une musique populaire riche et variée en danses et chants?
    Mais pouvez-vous prouver que ce que j’ai écrit est faux? Et puis, qu’entendez-vous par « divulgation musicale »?
    Quelles sont vos références à vous qui prétendez détenir une vérité… ou penser qu’un propos différent de votre pensée est faux?

  5. Que de simplifications! Comment peut-on encore définir la musique espagnole comme étant « mystique » et réduire le contexte dans lequel elle s’inscrit à la « cruauté de l’Inquisition », tout en ajoutant que, malgré la religiosité de la famille royale (!) le peuple « danse et chante »(!!)? Quelles sources bibliographiques avez-vous consultées pour arriver à de telles conclusions? J’ai toujours défendu la divulgation musicale et les blogs de musique, mais suis très déçue par ces commentaires: il faut un minimum de sérieux…

  6. Bonjour Monsieur ,
    Merci de nous faire partager vos connaissances si vastes ! Je cherchais des renseignements au sujet du O magnum et de sa tonalité ou mode de Victoria et je suis tombée sur votre passionnant blog . Je suis juste une choriste très modeste et avec peu de connaissances musicales …
    Amitiés musicales !
    Catherine Devaux

  7. Compositeur malheureusement un peu oublié. Mais que dire aussi devant le Magnificat Primi Toni qu’Hesperion XX avait magnifiquement rendu il y a de longues années…Pour ceux que cela intéresse, le choeur de chambre de Namur va interpréter du Victoria et Lobo (et encore quelques contemporains) le 5 avril aux minimes à Bruxelles. Programme tellement rare qu’il faut en profiter!

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