Premier jour du Festival « À toutes cordes » à la Salle philharmonique ce soir à 19H. Au programme, les deux superbes concertos pour violoncelle et orchestre de Joseph Haydn par deux des meilleurs violoncellistes d’aujourd’hui, le jeune Gauthier Capuçon et l’extraordinaire Pieter Wispelwey. Une séance qui sera, à coup sûr, de haute voltige et de grande qualité.
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C’est l’occasion, pour moi de (re)faire le point sur le premier concerto pour lequel j’ai toujours eu un faible depuis que je l’avais découvert avec mon grand-père il y a bien longtemps maintenant. Joseph Haydn a écrit plusieurs concertos pour violoncelle dont l’attribution au compositeur reste quelque peu délicate. Le catalogue Hoboken (la référence dans le classement des oeuvres de Haydn) comprend 6 concertos pour violoncelle, numéroté Hob.VIIb 1 à 5 et Hob.VIIb.g1, ce dernier étant perdu et probablement apocryphe.
Les deux seuls concertos dont l’attribution est à peu près sûre sont celui en do majeur, Hob.VIIb.1, bien que la partition ne soit pas signée, et celui en ré majeur Hob.VIIb.2. Le troisième semble être en fait un doublon du premier. Le manuscrit du quatrième concerto est signé du nom de Costanzi et est datée de 1770-1771, mais l’auteur, est en fait, inconnu. Mais laissons là ces problèmes musicologiques complexes.
C’est probablement entre 1762 et 1765 que fut composé le concerto de violoncelle en do majeur longtemps considéré comme perdu et redécouvert en 1961. Haydn occupait déjà le poste de maître de chapelle du prince Esterhazy à cette époque. L’œuvre fut sans doute destinée à Joseph Weigl (1740-1820), le violoncelliste de la chapelle du prince, ce musicien pour lequel Haydn écrivit sans doute aussi les solos de violoncelle de ses premières symphonies. Le virtuose occupa en effet les fonctions de violoncelliste auprès des Esterhazy entre 1761 et 1769 après quoi il fut premier soliste de plusieurs orchestres de Vienne.
Franz Joseph Haydn
Nous devons remercier le musicologue Oldrich Pulkert en 1961 de pouvoir aujourd’hui écouter cette sublime musique. Il mit, en effet, à jour une copie du XVIIIème siècle d’un concerto pour violoncelle dont on savait l’existence par une mention écrite par Haydn lui-même dans son catalogue personnel (le catalogue « Entwurf »). On croyait l’œuvre perdue, mais les archives conservées au Musée National de Prague contenaient effectivement cette partition que le musicologue publia dès 1962. La découverte était de taille puisque le peu ce concertos de violoncelle de l’époque permettait d’ajouter une œuvre géniale au répertoire des solistes.
La composition instrumentale utilise un orchestre assez modeste (conforme cependant à de nombreuses œuvres de l’époque) comprenant les cordes, un basson non obligé pour soutenir les basses ainsi que deux hautbois et deux cors pour les mouvements extrêmes. L’adagio central n’est accompagné que par les cordes. L’étude des pratiques musicales de l’époque semble indiquer que l’exécution de ce genre d’œuvres se faisait en très petit ensemble, plus proche de la musique de chambre que de la musique symphonique et le soliste était sans doute le premier (ou le seul) violoncelle de l’orchestre qui, s’il était doublé par le basson dans les parties orchestrales, jouait néanmoins la partie soliste et les « tutti ». La partition retrouvée montre clairement l’omniprésence du violoncelle dans ses deux rôles, soliste et musicien d’orchestre.
Salle de spectacle d’Esterhaza
Toujours est-il que le concerto est d’une jovialité et d’une richesse inouïe. Le premier mouvement, après sa longue exposition des thèmes et motifs très nombreux et très variés, laisse entrer le soliste dans un do majeur lumineux. Déjà, ce dernier développe les différentes mélodies que l’orchestre avait montrées en les doublant d’une virtuosité qui n’exclut jamais les nuances de dynamique et le chant. C’est alors une alternance entre le soliste et l’orchestre qui propose, plus qu’un dialogue, une série de variantes des motifs déjà cités. Avec un naturel incroyable, l’œuvre se déroule sous nos oreilles dans une séduction irrésistible. Gammes, arpèges, doubles cordes et embryons de polyphonie permettent au soliste de montrer toute son agilité avant l’arrivée d’une cadence improvisée (et donc non écrite) qui rappelle l’orchestre pour la conclusion du mouvement sur le premier thème très énergique. Observez, même si vous ne lisez pas la musique, la sûreté d’écriture de la partie de violoncelle et la variété des traits et thèmes musicaux dans l’image ci-dessous.
L’adagio qui fait office de deuxième mouvement est en fa majeur, tonalité encore heureuse. La forme lied qui organise la pièce déploie d’abord une sublime mélodie, comme un chant qui s’élève hors du temps. Dans cette douceur, le violoncelle fait son entrée discrètement en une magnifique longue note qui s’épanouit ensuite en arabesques et ornements (grupetti) d’une tendresse infinie. Une lente et progressive amplification de la mélodie débouche sur un rappel des sons initiaux, mais en do majeur, cette fois. C’est l’occasion, pour Haydn de dramatiser légèrement la partie de violoncelle et l’harmonie qui la tend. Presque comme un récitatif douloureux, on décèle de loin quelques plaintes et dissonances que l’orchestre met en évidence en se contentant de ponctuer par notes répétées. Enfin, le fa majeur revient et l’apaisement l’accompagne. Le chant du violoncelle en est comme magnifié et peut encore laisser s’épanouir la mélodie initiale comme transfigurée. Une petite cadence, elle aussi improvisée, annonce la conclusion par l’orchestre de ce moment d’éternité.
C’est alors que survient le final survolté. Noté Allegro molto, il procède par l’alternance entre un refrain et des couplets virtuoses comme un rondo. Etourdissant de virtuosité, il rempli bien le rôle attribué au final de concerto qui a pour but essentiel de susciter l’admiration du public pour le virtuose en présence. Haydn ne se prive pas de laisser cette musique nous envoûter par la proximité qu’elle entretient avec le mouvement perpétuel. Grisant dans sa vitesse, éblouissant dans ses traits, efficace dans ses thèmes, le final du concerto est sans doute celui qui se rapproche le plus de la fameuse esthétique du « Sturm und Drang », par ses subits changements de dynamique, ses phrases sinueuses et toujours renouvelées et son tempétueux soliste qui rivalise d’effets de toutes sortes. Si l’œuvre est éprouvante pour le soliste, elle ravit l’auditeur qui, en bout de course, éprouve le besoin d’applaudir un tel élan musical.
Écrit près de vingt ans après lui en 1783 pour le violoncelliste Antonín Kraft (1749-1820), la partition du deuxième concerto pour violoncelle en ré majeur a été attribuée un temps à ce dernier avant d’être réattribuée à Haydn après en avoir retrouvé un exemplaire autographe au début des années 1950. Il pourrait avoir été écrit pour le mariage du prince Esterházy avec la princesse Maria Liechtenstein en septembre 1783.
Si le Concerto en ré va beaucoup plus loin que le premier dans l’exploration des possibilités techniques de l’instrument en mettant l’accent sur les doubles et les triples cordes, il ne perd nullement les qualités mélodiques du premier. Il faut dire que le violoncelle fut toujours un des instruments préférés de Haydn et que l’examen des trios avec piano ou des quatuors à cordes nous montre le besoin qu’il avait de dépasser la simple doublure ou l’inévitable basse que tenait presque toujours cet instrument.
Cette petite description montre bien l’efficacité de Haydn dans la musique directement destinée au concert. Il n’est pas surprenant que dès sa découverte, ce concerto ait été adopté par tous les violoncellistes et qu’il soit devenu l’un des morceaux de bravoure les plus populaires. Mstislav Rostropovitch, accompagné par l’Academy of Saint Martin-in-the Fields publié chez EMI reste pour moi un must de la discographie. L’interprétation est vive, incisive même dans le final, l’orchestre est exactement dosé et vivifiant, la sonorité du maître et sa capacité à déployer tous les sortilèges de cette musique n’est plus à prouver. Seule interrogation et surprise, la cadence de soliste qui, à défaut d’être écrite par Haydn lui-même, est très étrange et ressemble à une pièce pour violoncelle solo qu’un compositeur tragique soviétique, comme Chostakovitch ou Prokofiev, aurait pu écrire. Une telle dramaturgie est-elle bien à sa place ici? N’est-ce pas une manière efficace pour Rostropovitch d’attirer l’attention de tous les auditeurs sur la tragédie vécue par son peuple? Le débat reste ouvert.
D’autres versions alternatives pourront encore être écoutées avec intérêt et tenir tête à Rostropovitch. Ainsi, nos deux solistes du jour ont gravé ces deux concertos. Gauthier Capuçon l’a fait pour le label Virgin Music (EMI) avec l’Orchestre de chambre Gustav Mahler dirigé par Daniel Harding.
Pieter Wispelwey nous les propose sur le label Channel Classics avec l’Ensemble Florilegium qu’i dirige depuis le violoncelle. À découvrir…!