Cinquième (3)

 

Le Rondo final, dernier mouvement de cette vaste fresque, renoue avec le tempo vif. On a cependant l’impression que les musiciens sont encore plongés les rêveries dans l’Adagietto dont ils donnent encore des lambeaux de sons. Ce sont les bassons qui, par des appels insistants font sortir les cordes de leur torpeur. Très dense et complexe, il est sans doute le mouvement le plus discuté. Certains le trouvent lourd, d’autres vantent ses prouesses d’écriture. Le refrain qui caractérise la forme rondo peut donc s’élancer et développer sa mélodie bien vite contredite dans sa légereté par des épisodes plus tragiques.

 

 

Sa signification est, elle aussi, sujette à de nombreuses conjectures. Mahler allie un thème ascendant qui se veut optimiste et des passages en contrepoint fugué. De temps en temps, on y trouve des traces d’ironie. Ainsi, quand le thème élégiaque de l’Adagietto est repris beaucoup trop vite, beaucoup trop fort et trop mesuré, tout son impact affectif est réduit à néant.

 

 

Enfin, le choral entendu dans le deuxième mouvement amène la libération. Ce dernier avait d’ailleurs suscité l’incompréhension d’Alma qui considérait que les chorals, c’était pour Bruckner, pour des compositeurs qui trouvaient leur rédemption dans la foi, ce qui, à l’évidence, n’était plus le cas de son mari.

 

 

 

Mais à l’écouter de plus près, ce choral paraît survolté, trop démonstratif en regard du reste de la symphonie pour être sincère. Bruckner, lui aussi, terminait sa gigantesque Cinquième symphonie par un immense choral, mais il résultait d’une véritable foi et le choral dissipait enfin les errements douloureux du parcours de l’oeuvre et de ses questions existentielles. Mahler, encore une fois, n’est pas Bruckner, mais a-t-il tout de même voulu rendre hommage à son maître en procédant de la sorte ou, au contraire, montrer par l’absurde que cette solution ultime ne lui convenait pas? L’œuvre se termine donc sur une impression mitigée dans un ré majeur lumineux. Triomphe ou dérision… ? Cette étrange sensation de lumière perçue à la fin de la cinquième sera littéralement balayée dès les premières notes tragiquement implaccables de la Sixième symphonie et… tout sera à nouveau à refaire….

A l’analyse de la production de G. Mahler, il est impossible de se satisfaire d’un message optimiste pour la cinquième symphonie, comme pour les autres. Il semble, en effet, qu’un bonheur terrestre lui soit interdit. Sa recherche de l’Absolu passe irrémédiablement par la mort. Celle-ci fait partie de son quotidien depuis sa difficile enfance et le décès prématuré de sa sœur. Son environnement est sombre (famille juive vivant en marge de la communauté germanique, ambiance familiale tendue,…). Les impressions sonores qu’il engrange dans sa jeunesse sont celles d’un sordide orgue de barbarie, populaire, souvent vulgaire. Les fanfares militaires de la caserne toute proche de la maison expliquent certaines couleurs de son orchestre et de ses thèmes. L’esprit de Mahler se forme dans cet environnement hostile. Les chansons vulgaires, les sonneries militaires et les valses les plus étincelantes se côtoient et se mélangent sans la moindre gêne. Ces sons venus du plus profond de lui-même adoptent un ton d’ironie. Ainsi, la naïveté grotesque de la description du Paradis dans le final de la quatrième symphonie a pour but de démontrer l’absence de Paradis dans son acceptation courante. De même, lorsque la marche des squelettes sortant des tombes, dans la Deuxième symphonie, pour se rendre en cortège au lieu du Jugement Dernier se fracasse en un bruit infernal dans le final de la deuxième symphonie, Mahler nie l’existence d’un Jugement tel qu’il est décrit dans l’Apocalypse de Saint Jean.

 

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Le final de la cinquième, ironiquement triomphant, est donc probablement tout à fait pessimiste. Enoncer sa pensée la plus profonde par son contraire constitue le sommet du raffinement ironique. En cela, Mahler annonce les dénonciations dissimulées du régime stalinien dans l’œuvre de Chostakovich. Il est également très proche de Kafka. On ne cesse de découvrir le monde complexe de Gustav Mahler à travers ses œuvres. Cette nécessité de trouver une « rédemption » l’emmène dans un « ailleurs » interdit au vivant. Le parcours est long, semé d’embûches et de désillusions, sa musique le proclame. Elle nous laisse aussi parfois entrevoir, au delà des derniers adieux et des grands adagios, une lumière pure, infinie et éternelle…

 

Voici, pour terminer (mais a-t-on jamais fini avec de telles oeuvres?) une interprétation complète et remarquable de la Cinquième symphonie. Bonne écoute…