Manon (2)

L’action se déroule d’abord à Amiens, dans la cour d’une hôtellerie où une foule de gens attendent l’arrivée du coche d’Arras. Parmi eux, les trois maîtresses du vieux Guillot de Morfontaine, le fermier général De Brétigny qui festoient et Lescaut, venu attendre sa cousine Manon destinée au couvent. Manon arrive, toute étourdie par le premier voyage qui lui a fait oublier sa destination.

 

orw,manon,massenet,conférence,jean-marc onkelinx

Anna Netrebko dans Manon, acte 1.


Son cousin la prend en charge et la fait attendre un peu, temps pendant lequel les deux hommes sont séduits par cette belle et jeune fille. Ils lui font des avances. Elle ne bronche pas. Lescaut leur fait la leçon puis diaprait encore un peu pour se divertir avec des amis en recommandant à Manon de ne parler à personne. Survient le jeune et tendre Chevalier Des Grieux qui tombe amoureux à la vision de Manon. C’est réciproque. Après une déclaration d’amour, ils s’enfuient pour vivre à Paris à la stupeur des autres personnages.

Le deuxième acte se déroule rue Vivienne à Paris (adresse de l’éditeur de Massenet et clin d’œil du compositeur). Trois mois de vie commune sont écoulés et Des Grieux, en manque d’argent décide d’écrire à son père pour lui demander d’autoriser son mariage avec Manon. Ils manquent d’argent et il est temps de remplir la caisse. Ils lisent la lettre ensemble. Il part la poster et, pendant ce temps, surviennent Lescaut et De Brétigny, toujours amoureux, qui arrivent à convaincre Manon de renoncer à Des Grieux moyennant luxe et faste. De plus, ils vont enlever Des Grieux pour le rendre à son père qui voit pour lui un autre destin.

 

orw,manon,massenet,conférence,jean-marc onkelinx

Roberto Saccà (Des Grieux) et Ermonela Jaho (Manon) à l’acte 2
© Christian Dresse


Le troisième acte se déroule au Cours-la-Reine dans une ambiance de fête que Massenet a voulu très XVIIIème siècle. Manon y apparaît dans toute sa splendeur, femme devenue l’objet de De Brétigny et suscitant l’envie de toutes parts. Le vieux Guillot, qui ne désespère pas encore de conquérir Manon lui offre un ballet de l’Opéra. Pourtant, celle-ci vient d’entendre la conversation du Comte Des Grieux, le père du Chevalier. Il affirme que son fils, pour oublier un amour malheureux veut entrer dans les ordres au couvent de Saint-Sulpice. Manon comprend l’amour fou qu’il avait pour elle et ressent, elle aussi ce besoin de le retrouver. Ele plante tous ses comparses et se rend à Saint-Sulpice.

 

orw,manon,massenet,conférence,jean-marc onkelinx

Anna Netrebko, Manon au Cours-la-Reine, acte 3 scène 1

Là, le père Des Grieux tente une dernière fois de dissuader son fils d’entrer dans les ordres, rien n’y fait. Il lui dit adieu en lui indiquant qu’il lui enverra l’argent qui lui revient de sa mère. Manon arrive peu après et trouble le séminariste. Un duo exceptionnel les réconcilie et ils fuient à nouveau dans leur aventure amoureuse.

orw,manon,massenet,conférence,jean-marc onkelinx

Piotr Beczala (Des Gieux) et Anna Netrebko (Manon), Duo d’amour de l’acte 3 scène 2.

Le quatrième acte est celui de l’Hôtel de Transylvanie, un casino où, une fois de plus, Manon et Des Grieux sont sans le sou. Elle parvient à le convaincre de jouer et il gagne beaucoup d’argent face à Guillot et De Brétigny. Ils les accusent de tricher et les font arrêter par la police. Le père Des Grieux fait libérer son fils mais pas Manon.

orw,manon,massenet,conférence,jean-marc onkelinx

Manon arrêtée par la police à la fin de l’acte 4.

Condamnée de droit commun, Manon va être déportée vers la Louisiane au cinquième acte. Sur une route qui mène vers Le Havre, Lescaut et Des Grieux veulent faire évader Manon. Ils soudoient le sergent en charge des prisonnières. Manon, brisée par la vie avoue son ingratitude et son infidélité. Elle vient de comprendre l’immense bonté du cœur de Des Grieux débordant d’amour et prêt à mourir pour la sauver. Elle lui demande pardon et son dernier baiser est aussi celui de sa mort. Elle quitte la vie dans ses bras en rêvant à leur bonheur enfui.

orw,manon,massenet,conférence,jean-marc onkelinx

Roberto Alagna et Anna Netrebko. Manon meurt dans les bras de Des Grieux à la fin de l’acte 5.

Inutile de dire que l’art de Massenet se base sur une véritable alchimie entre les mélodies confiées aux voix et l’orchestre qui les soutient. Car les forces orchestrales sont importantes, un orchestre qui n’a rien à envier à celui de Gounod ou de Bizet, une formation qui annonce celle de Puccini. Et le rôle de cet orchestre, c’est d’offrir un tapis, pas un accompagnement, à la mélodie qui flottera littéralement par-dessus. La virtuosité s’intègre à la pureté de la ligne et on compte sur les doigts d’une seule main les airs qui déploient les coloratures telles qu’elles sont présentes dans le bel canto. Tout est misé sur le dépouillement, l’arche qui irrésistiblement, d’une cellule de base, atteint progressivement son climax avant de retourner au silence ou de se fondre dans le mélodrame évoqué hier. Tout cela donne beaucoup d’intensité aux mélodies de Massenet et une sensualité hors du commun. Qu’on réécoute « Adieu notre petite table » de l’acte 2 pour se rendre compte de ce mécanisme.


Mais le chant peut prendre des allures plus étranges, lorsqu’il doit montrer l’extériorité des personnages. Ainsi du début de l’acte 3, lorsque Manon montre son côté purement superficiel, jeune et clinquant.

Ce qu’on nomme la « Gavotte », évoque une danse du XVIIIème siècle. Voilà un élément essentiel de Manon : tout nous ramène au siècle des Lumières. Le ballet qui va suivre fait d’ailleurs un large usage des différentes danses qui constituaient jadis la suite. Massenet cherche, à l’époque des musiques nationales, à retrouver les fastes de la musique française. Chez Lully, puis chez Rameau ou Couperin, les ordres, c’est-à-dire les suites de danses, étaient très prisées et représentaient toute l’expression des rythmes dansés (en alternant danses lentes et vives) et des couleurs instrumentales. Et pour ouvrir ces suites, la fameuse « Ouverture à la française » si typique par son côté solennel fait de rythmes pointés et d’une pompe indéniable.

Massenet repend cet esprit avec bonheur dans sa musique de ballet, XVIIIème siècle de pacotille, certes, mais idéal de la vie agréable pour les bourgeois du XIXème siècle dont le compositeur faisait partie. Et d’ailleurs, cet attrait pour les suites de danses et le grand siècle français n’aura de cesse d’inspirer les Debussy, Ravel, Poulenc et bien d’autres…

Mais Manon, c’est avant tout une tragédie. Symbole d’une femme qui s’affranchit dans un siècle qui l’étouffe, elle joue à la femme-objet. Chaque considération sur le personnage est une vue masculine, chaque perception de Manon est le résultat du regard de l’homme. Dans cette optique, le rôle de femme qu’on lui a attribué : concrétisation des fantasmes de l’homme. Époque paradoxale que ce XIXème siècle qui voit à la fois la femme comme objet sexuel et comme le symbole maternel. Images pieuses d’une Vierge Marie, femme idéale et mère de tous d’une part, femme fatale, insaisissable et objet de tous les fantasmes d’autre part. La pudeur de Massenet fait qu’il adoucit l’image de Manon, qu’elle est un peu des deux. Son fond est fondamentalement bon, mais son comportement indécent. Est-ce de cela qu’elle veut qu’on la pardonne quand elle meurt ? Est-ce pour cela qu’elle ne peut que mourir ? Pour trouver une rédemption dans la mort aux yeux d’une société bien-pensante ?

À suivre…