Sortilèges de Ravel

J’ai toujours eu une affection particulière pour la musique de Maurice Ravel (1875-1937). Sous les apparences banales que l’histoire et les musicologues ont prises pour argent comptant pendant trop longtemps, on découvre désormais un homme d’une grande profondeur, d’une émotion particulièrement forte. Bien avant de lire des ouvrages modernes sur ce compositeur parfois dans l’ombre encore de Debussy, j’avais senti la puissance dramatique du Concerto pour la main gauche, de la Valse ou du Boléro. Je me disais qu’il n’était pas possible que des œuvres d’une telle envergure, toutes refermées par un effondrement du monde qu’elles viennent d’illustrer, n’ait comme seul but la beauté du son. 

ravel

Je vous écrivais ces mots il y a plus de deux ans. Et c’est encore cette même réflexion qui me vient à l’esprit après avoir travaillé longtemps et présenté deux fois de suite la fantaisie lyrique sur le superbe livret de Colette, l’Enfant et les Sortilèges (1925). Cette petite oeuvre, qui s’apparente à l’opéra, mais en est si éloigné agit toujours sur moi comme un véritable sortilèges en suscitant les plus grandes émotions. Cet enfant qui finit par comprendre, à travers la métaphore de l’expérience vitale contenue dans les objets qui s’animent et les animaux qui parlent, les grands principes de l’existence du monde adulte, si éloigné de celui de l’enfance, me ramène toujours à ma propre expérience. N’est-ce pas là l’ultime but de l’art, que de nous toucher dans ce que nous avons de plus intime, de plus secret?

Voici trois larges extraits qui témoignent de tous nos apprentissages. Le premier illustre le renoncement aux contes de fées et la perte de nos premières amours sublimées. Le duo des chats qui suit est l’une des pièces les plus délicieuses de toute la musique de Ravel. Quel sens de l’observation et quelle géniale mise en musique.


 

La seconde partie de la fantaisie lyrique débute dans le Jardin féerique et fait prendre conscience à l’enfant des douleurs, des séparations et de la perte des êtres chers ainsi que de l’emprisonnement. Le superbe solo de l’écureil qui confie son ardent besoin de liberté lors de sa captivité est bouleversant.

 

 

 

La guerre ensuite, au moment où les animaux se révoltent contre les méfaits de l’Enfant. Terrible, impitoyable et chaotique. Elle nous terrifie et crée chez l’Enfant assailli la dernière prise de conscience, celle de l’empathie, au moment où, avant de s’effondrer, il sauve un écureil blessé. Il provoque alors la sympathie des animaux et ils se réunissent pour appeler… Maman. Les hommes, mêmes bien versés dans l’âge adulte ont bien souvent l’envie d’appeler encore leur maman… Ce n’est pas incompatible! Les animaux parviennent à alerter maman que son petit est en danger. le dernier mot de l’opéra sera celui de l’Enfant qui reconnait Maman avec toute la gratitude de l’adulte. Le parcours initiatique est celui de la vie… tout simplement! 

 

 

Esthète que ce Ravel ? Non point ! Homme qui vit dans un monde bousculé par la Grande Guerre et l’industrialisation, la vitesse et les nouveaux modes de vie. C’est comme si, à chaque œuvre, un pressentiment de tragédie amenait Ravel à préférer le monde de l’enfance, comme dans les frais contes de Ma Mère l’Oye qui, tout empreints d’une magie enfantine et malgré ses joies et ses peurs pour le préserver comme un jardin féérique, lieu de tous les rêves et de toutes les mélancolies.


 

C’est, à mon avis de cette duplicité entre un monde dans lequel il faut bien vivre et un univers féérique de l’enfance dont nous parlent toutes ses musiques. D’une manière ou d’une autre, Ravel parvient toujours à nous émouvoir par son langage musical. Il est l’un des plus grands génes de la musique du début du XXème siècle.