Année Grétry (3)

On a beaucoup de peine aujourd’hui à imaginer l’extraordinaire renommée d’André Modeste Grétry à l’aube du XIXème siècle à Paris. Le liégeois, car, comme il avait coutume de l’affirmer, son cœur était resté à Liège (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ses dernières volontés exigeaient que son corps soit inhumé au Père Lachaise tandis que son cœur serait rapatrié à Liège, ce qui fut fait après les longs procès évoqués dans le billet précédent), avait su garder sa renommée malgré les changements de pouvoirs. Il avait su s’adapter aux goûts nouveaux et garder l’admiration des autorités et du public.

 

Grétry par E. Forget, d'après Mellier.jpg



Durant ses dernières années, couvert de gloire et membre de l’Académie depuis 1795, il avait  acheté une propriété qui avait appartenu à Jean-Jacques Rousseau à Montmorency. C’est là qu’il mourut en 1813. Les hommages furent grandioses et les funérailles nationales. Voici un témoignage d’époque du jour de l’enterrement de Grétry :

 

Gretry, Monument à Montmorency.jpg

«Le corps du célèbre défunt avait été transporté de l’Ermitage, qui avait appartenu à J. J. Rousseau, à Paris, et exposé dans une chapelle ardente où des milliers d’amis, des artistes, et une masse de curieux sont venus donner un dernier adieu à l’illustre compositeur. L’enterrement eut lieu le 27 septembre 1813, et le cortège s’est formé à midi.

Les quatre coins étaient portés par Méhul, Marsollier, Berton et Bouilly; les nombreux élèves du Conservatoire dont Grétry avait été un des inspecteurs, marchaient d’un pas lent et formaient la haie. Un corps de musique choisi parmi les meilleurs exécutants de Paris, jouait pendant la translation du corps du célèbre maître, une belle marche funèbre avec tamtam, de la composition de son compatriote, François-Joseph-Gossec.

Cette musique, accompagnée de l’instrument funèbre et du roulement des tambours voilés, est d’un grand caractère; elle a été composée pour les funérailles de Mirabeau, et n’avait plus été exécutée depuis.

Le convoi a suivi les boulevards jusqu’à la rue Montmartre, et s’est arrêté devant le théâtre Feydeau; le péristyle était tendu de noir; un buste de Grétry, couronné de lauriers, était placé au premier étage, et les acteurs, vêtus de deuil, se trouvaient rangés devant la grande entrée de la salle. Au moment que le convoi s’est arrêté un orchestre caché a fait entendre l’air si touchant de Zémire et Azor : Du moment que l’on aime.

 

 

Zémire et Azor: « Du moment que l’on aime »


Il est impossible de se figurer la sensation produite par ce morceau, l’un des plus touchants de son immortel auteur. M. Gavaudan a prononcé, d’une voix entrecoupée par ses sanglots, un discours plein de sensibilité. « Permettez, a-t-il dit. Messieurs, que nous suspendions un instant cette marche funèbre, et que des enfants éplorés rendent un dernier hommage à leur père sur le seuil même du théâtre qui retentit si longtemps du bruit de ses triomphes. Permettez que nous déposions sur son cercueil une des nombreuses couronnes que le public lui a décernées. »

Après cette cérémonie, qui a fait couler les larmes de tous les assistants, le convoi a repris sa marche. Il s’est arrêté de nouveau devant l’Académie de musique. M. Picard, directeur, s’y trouvait avec plusieurs auteurs et avec tous les artistes de ce théâtre. M. Aignan s’est rendu l’interprète de leur douleur, et a payé aux mânes de M. Grétry le tribut des regrets universels qu’il excite. Enfin le convoi est seulement arrivé à 2 heures à l’église St. Rocli, où le 3 juillet 1771, Grétry épousa Mademoiselle Jeanne-Marie-Grandon.

Une foule immense, évaluée à plus de 30 000 personnes, suivait le cortège funèbre. Jamais on n’avait été témoin à Paris, d’un deuil aussi général et d’un spectacle aussi émouvant. Toutes les rues où passaient les restes de ce musicien populaire et sympathique, regorgeaient de monde appartenant à toutes les classes de la société, et on lisait dans le regard de cette foule attristée, un sentiment de regret et de condoléances. Après un Dies irae de Mozart et un De Profundis chantés par les élèves du Conservatoire, le cortège s’est remis en marche et s’est rendu au cimetière du Père Lachaise.

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Tombe de Grétry au Père Lachaise

M. Méhul, au nom de l’Institut, et M. Bouilly, au nom des auteurs dramatiques, ont prononcé des discours qui ont produit une vive émotion. Un compositeur italien, qui est devenu français par ses ouvrages, s’est écrié : « C’est ainsi que l’auteur de Stratonice devait louer l’auteur de Sylvain.» Le cortège arriva vers 15 heures, au cimetière, où un grand nombre de spectateurs de tout rang, de tout âge, formait les groupes les plus variés. Les Dames, vêtues de blanc, semblaient représenter les ombres heureuses des Champs Élysée dont le lieu de repos offrait en ce moment la plus fidèle image.

Ce jour mémorable fut embelli par la nature même ; jamais le soleil n’avait été plus serein au moment où l’on descendit le cercueil dans la fosse. »

Très impressionnant ! Comment, dès lors, imaginer le peu d’intérêt que nos contemporains montrent pour Grétry. Il se pourrait bien que les choses changent assez rapidement puisque, d’une part, l’année 1813 sera celle du bicentenaire de son décès et que certaines firmes de disques ainsi que certains ensembles de musique ancienne ont commencé à remettre notre compositeur au goût du jour.

Parmi les toutes récentes publications, retenons la parution de l’opéra Céphale et Procrispar l’ensemble Les Agrémens dirigés par Guy van Waas sur le label Ricercar. Comme le soulignait Jean-Pierre Rousseau dans un récent commentaire, ce cd a été enregistré à la Salle Philharmonique de Liège.


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Autre parution significative, cet Andromaque, véritable joyau de la musique tragique de Grétry, parue chez Glossa et interprétée par Le Concert spirituel dirigé par Hervé Niquet.

 

Grétry Andromaque Niquet.jpg



Il me restera donc, pour être complet, à vous proposer un inventaire des œuvres de Grétry ainsi qu’une petite orientation discographique et bibliographique.


A suivre…