Silence ?

 

 


a. silence Mots


 

Souvent, à l’exception de quelques banalités, nous considérons que la musique est à l’opposé du silence. Et de fait, le monde des sons est par essence sonore, donc incompatible avec le silence tel que nous employons le mot habituellement. Pourtant, lors d’un concert, le brouhaha de la salle avant l’arrivée sur scène du chef d’orchestre, les sons des instrumentistes qui s’accordent, créent un environnement particulièrement bruyant. Soudain, l’annonce du concert imminent par les diffuseurs de la salle fait taire les bavards, restent quelques chuchotements … puis, c’est une déferlante d’applaudissements qui accueillent le maestro. C’est alors à son tour de faire le silence et de le briser, à peine retrouvé, par les sons de la musique. Faut-il donc entendre le silence ou en prendre conscience pour écouter la musique ? Qu’est-ce donc que le silence ? Quel est son rôle au sein de la musique et dans notre vie ? Voilà des questions qui mériteraient de bien longs développements. Mais s’il semble paradoxal d’entendre le silence, un retour à la définition du mot lui-même semble bien utile. 

D’après le Petit Robert, le silence est d’abord le fait de ne pas parler, de l’attitude qui consiste à rester muet. Il est alors synonyme de « mutisme ». Un second sens désigne une absence de bruit, d’agitation et se rapporte à la nature, à un lieu où aucun son n’est perceptible. Il devient alors, pour le dictionnaire, un synonyme de paix, de calme. Enfin, un troisième sens désigne l’interruption du son d’une durée déterminée indiquée par des signes particuliers dans la notation musicale. A grand renfort de citations littéraires ou proverbiales (garder le silence, faire silence, silence radio, minute de silence, le silence est d’or, un silence de mort, réduire au silence, …), ce sont les seules définitions du mot silence. En fait de nombreuses autres peuvent en dériver. 

Or, le mot provient du latin « silentium » qu’on traduit par silence, qui provient lui-même du verbe « silere, sileo », faire silence. Je dis bien faire silence avec la nuance que le latin nous inspire par cet autre verbe « tacere, taceo » qui signifie clairement « se taire ». Si les latins ont apporté une nuance entre les deux, et que les textes théologiques et religieux dans cette langue, distinguent les deux verbes, c’est que le dernier désigne le fait d’arrêter de parler, de faire du bruit, donc d’un acte humain, tandis que le premier prend une dimension plus intérieure, plus psychologique et spirituelle. Le silence évoqué par « silentium » était plus volontiers celui de l’âme, et, bien au-delà, celui de Dieu.



b. Silence Vase vide
 

 

La formule du peintre Georges Braque  « Le vase donne une forme au vide et la musique au silence », nous permettra sans doute de pousser un peu plus loin la réflexion. Car il s’agit de valeurs profondes qui sont évoquées ici, les notions de plein et de vide. Ainsi, un vide préalable est la condition de l’existence de l’objet. Cela nous semble logique. Ce vide n’a pas de forme puisque c’est du vide. L’objet, par sa présence, structure le vide en espace perceptible. Le vase ci-dessous, dans la vision qu’il nous offre, structure effectivement le vide qui l’entoure. Une portion du vide préalable semble prendre sa forme. Alors, en musique, la même réflexion nous conduit à considérer que tout son, l’équivalent de l’objet, ne peut exister que dans un silence, l’équivalent du vide, préalable. C’est bien ce que nous faisons lorsque nous nous taisons ou cessons d’applaudir (action humaine = tacere), nous cherchons à retrouver le vide originel tant extérieur qu’intérieur, le silentium. Car il ne suffit pas de seulement cesser le bruit, il faut aussi se concentrer pour trouver, dans le silence intérieur, se construire un autre monde sonore qui est celui de la musique et qui structure, lui aussi le silence. C’est une démarche rituelle, certes, mais profondément psychologique, voire spirituelle. Il n’en a d’ailleurs pas toujours été ainsi dans les salles de concerts. Autrefois, le public ne se privait pas de parler, de manger, de crier, de chanter les airs connus et de donner son avis sur la prestation à haute voix ! On était bien loin des regards destructeurs sur celui qui a le malheur d’être pris d’une quinte de toux au milieu de l’adagio d’une symphonie ! 

Cette attitude face au concert serait donc moderne. Elle serait la coïncidence entre le culte de la musique au XIXème siècle et les réflexions sur la philosophie de la musique. Ce serait donc artificiel ? Pas sûr. Je ne suis pas convaincu que lorsqu’on donnait à l’époque de Bach, une œuvre religieuse dans une église, les auditeurs pratiquaient le commentaire à haute voix, le lieu ne s’y prêtait pas. Cela dépend donc du propos de la musique. 

Mais il y a mieux. Lorsque nous écoutons du chant grégorien ou des voix orthodoxes, ce que l’on nomme parfois « le chant du silence », on constate que le silence n’est pas que préalable. Il entoure complètement le chant, avant, après, au dessus et en dessous … et même dedans. Ce chant est celui de l’âme, il ne détruit pas le silence, il lui donne une forme … temporelle. Car la musique, c’est forcément, le déroulement du temps mesuré par le rythme (même insignifiant) de la même manière que le système métrique mesure l’espace. Le silence, en conséquence, est très proche du « non-temps », comme le vide est proche du « néant ». Mais n’est-ce pas pareil. Il ne peut exister de néant dans le temps pas plus que de silence sans néant (attention, je n’emploie pas le mot néant péjorativement, son utilisation n’est pas ici liée à des convictions religieuses).


 

c. .Lauda Sion

d. Lauda Sion Sequentia


 

 

Alors la question suivante m’assaille : Le silence et le vide existent-ils réellement dans notre vie ? Les artistes nous ont souvent montré qu’ils n’existent par objectivement. Les peintures de Malevitch ou les minutes de silence de Cage témoignent d’un fait particulier. On ressent certes un vertige avec leurs œuvres, mais on se rend très vite compte que dans le silence des 4’33 de silence de Cage, on entend des tas d’autres choses et que dans le carré noir sur fond blanc de Malevitch, on discerne une forme, le carré, le cadre, le mur qui l’entoure, … Le vrai silence n’existe pas ici bas. Il est cependant relatif, comme le son. Nous sommes perpétuellement pollués par des nuisances sonores que nous croyons ne plus entendre. Il nous faudrait les réécouter mieux.

e. Malevitch, Carré noir sur fond blanc (1930)

Malevitch, Carré noir sur fond blanc


 

Car en l’absence totale de son, comme dans le cas des chambres anéchoïques (complètement isolées acoustiquement), il est fréquent que l’homme se sente mal. La peur du vide sonore le rend fou et le déstabilise.


 

g. Chambre anéchoïque

Chambre anéchoïque


 

On constatera donc, dans l’histoire de l’homme, deux approches du silence. Celle qui consiste à en faire une projection intérieure d’ordre spirituel ou philosophique en l’associant au vide comme dans les pensées orientales qui jouent un rôle profond sur nos cultures occidentales, et celle qui équivaut à le considérer comme relatif et à l’utiliser comme un moyen rhétorique, expressif, ce que nous faisons dans notre vie de tous les jours.

A suivre…