Bateliers…

Les Rhénanes constituent à l’intérieur du chef-d’œuvre de Guillaume Apollinaire qu’est le recueil Alcools, un cycle de poèmes imprégné des légendes germaniques et d’une atmosphère mélancolique et mystérieuse inspiré par le séjour du poète en Allemagne. Apollinaire y retrouve une thématique romantique, et, comme toujours, la transfigure. le cycle contient évidemment un poème consacré à la légende de la Loreley ; mais dans « Nuit rhénane », il semble que le véritable chant des sirènes soit celui de bateliers : c’est l’envoûtement de la rêverie mélancolique, de la douce ivresse qui, sous le charme des « Alcools », fait surgir les légendes et enchante littéralement le réel. Et peut-être, comme jadis, Orphée (qui sera la figure essentielle du Bestiaire) opposa son chant aux chants des sirènes, le poète doit-il lui-même, pour ne pas céder aux sortilèges du triste chant, chanter « plus haut ».

 

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Apollinaire et Marie Laurencin. La Muse inspirant le poète par Henri Rousseau, (1909)

 

 

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Le Rhin vers Coblence au pied de vieux châteaux juchés sur leurs nids d’aigles (image d’Épinal)

LE CHANT DES BATELIERS

Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme
Écoutez la chanson lente d’un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds

Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n’entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées

Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’été

Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire

G. Apollinaire, Alcools, « Nuit rhénane », 1913.

Cité par Vincent Delecroix in Petite bibliothèque du chanteur, Champs classiques, 2012, p.162-163.