Ce ne sont pas seulement mes activités musicales très nombreuses de ces derniers jours qui m’ont éloigné du blog. Plusieurs lecteurs s’en sont inquiétés, d’ailleurs, je les en remercie de tout cœur ! Mais il ne m’est plus possible d’écrire billets tous les jours, ou à peu près, comme je le faisais au début de cette formidable aventure. Ce ne sont pourtant pas les sujets ou les inspirations qui manquent, c’est le temps ! Et quand mon emploi du temps pourrait me le permettre, il m’arrive, comme cette semaine, que mes propos me semblent dérisoires face à la gravité du monde. N’en déplaise à certains commentateurs des réseaux sociaux, il y a des moments où je préfère me taire, tout simplement ! Il y a des jours où l’émotion forte et les larmes sont utiles. Elles permettent une catharsis et un retour sain vers les valeurs que nous défendons. Pleurer n’est pas renier ! Celui qui ne pleure jamais au fond de lui-même garde en lui une terrible souffrance qui se mue parfois en animosité.
Face à l’horreur indicible, chacun réagit… comme il peut ! Mais un peu de recueillement, de modestie et de simplicité humaine, face à tout ce qu’on peut voir, lire, entendre, dire ou crier m’a permis de rester moi-même et de continuer à parler de musique toute cette semaine à ceux qui m’ont fait l’honneur de m’écouter. Car inévitablement, l’art révèle l’Homme, je l’ai souvent dit, et cette semaine fut en ce point extraordinairement riche. Entre l’Inachevée de Schubert à Courtrai, le Concerto en sol de Ravel à Charleroi, le Clavier bien tempéré de Bach, le Requiem de Mozart et Ein deutsches Requiem de Brahms à Liège, la déclinaison était éloquente et les leçons humaines bouleversantes. Il en résulte une sorte de communion avec la tragédie du monde, mais, et c’est là aussi l’essentiel, un espoir certes un peu utopique, mais indispensable à la vie qui continue.
Et c’est de manière presque inattendue, en ce dimanche pascal qu’au hasard de ma promenade matinale, en sillonnant les sentiers cent fois arpentés des coteaux de la Citadelle où j’aime, dans la solitude me retrouver moi-même, que mes pensées m’ont conduites à une sorte de prise de conscience. La nature, elle aussi, torturée par le temps et les accidents, reprend toujours le dessus. La vie l’emporte sur la mort.
Le cheminement à travers les sentiers se présente comme une révélation. Un sentier, c’est le temps qui passe. Regarder où l’on va, c’est envisager et préparer le futur. Regardez devant vous et vous voyez l’avenir. Bientôt, vous passerez par l’endroit que vous apercevez déjà, mais jamais, vous ne savez ce qui viendra entraver ou non votre progression. Se retourner, c’est voir où on est passé et parfois… ce qu’on n’a pas vu au moment où nous passions. On ne remonte jamais dans le passé, mais nous pouvons l’observer et y découvrir des causes, des origines et des conséquences. Et pendant que nous marchons, c’est le présent. À chaque pas, le présent grappille de l’avenir et le transforme en passé. C’est la loi de la vie, celle qui nous lie indissociablement au temps et que la musique, art du temps par excellence, nous révèle si bien.
Mais sur le chemin se trouvent les marques de la vie et de la mort. Tel grand arbre, pourtant si fort, foudroyé au hasard par la foudre, telles branches, ou membres, arrachés par la tempête… la Nature est tragique, elle aussi. En observant ce mastodonte des bois déraciné, mort et en décomposition, comment ne pas éprouver de l’empathie ? Comment ne pas y voir la métaphore de la victime humaine d’un hasard nihiliste effroyable ? Pourquoi cet arbre là ? Pourquoi cette femme, cet homme, cet enfant, ce vieillard-là ? Mauvais endroit ! Mauvais moment ! Rien d’autre ! C’est d’autant plus bouleversant. Quelqu’un est-il gravement malade ? On tente de le soigner. Un autre a atteint un âge très avancé, on sait que son chemin s’achève. Mais tous ces gens innocents… pourquoi eux ? Ç’aurait pu être mon épouse, ma fille, ma maman, mon frère, un ami,… moi ! Comme l’arbre qui ne s’y attendait pas !
Mais toujours en cheminant, après des semaines et des semaines de grisaille, de nature en hibernation (je fais souvent cette promenade le dimanche), comment ne pas sentir que quelque chose se trame, se prépare, a déjà commencé. On ne s’en est presque pas aperçu ! La nature reverdit ! Elle renaît. La vie l’emporte sur la mort !
J’ai vécu cette semaine un moment paradoxal. Mardi, cette journée horrible, j’ai beaucoup voyagé sur nos autoroutes. J’allais à Courtrai… deux fois deux heures de route ! La radio distillait tous les détails horribles des événements. J’écoutais tout cela avec effroi et émotion. Le contraste était irréel. Il n’y avait aucun nuage dans le ciel et le soleil brillait formidablement ! Soudain, entre Gand et Bruxelles, les arbres plantés le long de l’autoroute, avaient une couleur vert très clair, superbe ! De minuscules feuilles poussaient ! La vie revenait. On parlait des morts et des blessés à la radio et la nature reverdissait. Quel étrange sensation ! Car dans la régénérescence de la nature, se trouve le symbole de la vie qui gagne malgré tout ! Et j’ai dit à haute voix, j’étais pourtant seul dans ma voiture, que la vie l’emporterait toujours ! Que cette négation de la vie était inutile, ridicule même et témoignait vraiment d’une imbécillité profonde ! J’aurais voulu m’arrêter pour prendre une photo, mais impossible sur l’autoroute, bien sûr ! Je me suis promis de guetter cette renaissance lors de ma promenade de dimanche…
Et voilà que, tout près du gros arbre abattu, un autre présentait ses bourgeons. Oh ! ils sont encore touts petits, fragiles, mais ils témoignent de la vie qui, irrésistiblement, va prendre le dessus. Et comme disait Gustav Mahler dans les derniers mots du Chant de la Terre:
Die liebe Erde allüberall
Blüht auf im Lenz und grünt
Aufs neu! Allüberall und ewig
Blauen licht die Fernen!
Ewig… ewig…
La chère terre partout
Fleurit au printemps et verdit
À nouveau ! Partout et toujours
Les lointains bleuissent !
Toujours… toujours…
Il y aura encore des orages et des tempêtes. Certains arbres seront encore abattus, foudroyés, déracinés, mais toujours la vie sera plus forte. Pour moi qui ne crois pas, je trouve qu’il y a là de quoi nourrir l’idée de la résurrection qui, justement en ce jour de Pâques où l’on fête celle du Christ, offre à tous, croyants ou non, un magnifique symbole de renouveau et avec lui, un espoir magnifique !
Après vous avoir lu, je m’ en vais réécouter « L’ Adieu », le dernier mouvement du « Chant de la Terre », un Requiem, en quelque sorte, qui épouserait L’ ETERNEL RETOUR ;
Mais le retour du printemps annonce,, avec celui de l’ été, ceux, tout aussi incontourables, de l’ automne et de l’ hiver …
Votre blog est bien plus qu’ un bloig: c’ est aussi un chant: le chant d’ un compagnon errant !,
Quelle justesse Jean-Marc ! Ce texte m’a particulièrement parlé, il rejoint entièrement ce que je pense quand je me ressource dans la nature, le seul endroit où souvent je retrouve une certaine forme de paix, d’équilibre, d’apaisement dans ce monde « de fou », ce monde agité en tout sens, ce monde déraisonnable et excessif, superficiel et mercantile ou simplement horrible comme ces derniers jours. Au milieu de la nature, les oiseaux, indifférents à nos préoccupations continuent tant bien que mal à vaquer à leurs occupations d’oiseaux (et ce, depuis la nuit des temps), à construire leur nid, à nourrir leurs petits, à se contenter des espaces que l’humain veut bien leur laisser, le tout avec tant de dignité et de courage… tout comme le reste de la faune, de la flore qui se bat pour subsister, pour renaître chaque printemps… Quand l’être humain aura disparu de cette terre, la nature sera toujours là pour reprendre ses droits, indifférente à notre passage… A méditer.
Merci pour ce texte si profond qui reflète tellement bien votre humanisme.
Vos photos sont tellement bien appropriées aussi.
Vous êtes un grand homme, Monsieur Onkelinx
Merci pour votre balade et vos photos… la sixième m’inspire pour réaliser mon dessin centré symbolique d’après la liturgie de ce dimanche de Pâques… le tombeau vide… du ressuscité!
Cher Cinquecento … : http://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/l-apocalypse-au-xvie-siecle-des-feux-contemporains