Correspondances!

 

Alors que je travaille beaucoup, ces derniers temps en appuyant mes propos sur la musique de projections d’œuvres appartenant à d’autres arts, je constate chaque jours que tout n’est pas comparable, d’une part, et que le leurre d’un vocabulaire commun entre les arts montre plus ses limites que ses perspectives. En effet, s’il est absolument correct de comparer des sujets communs aux arts, des formes et structures qui relèvent d’une même pensée, il est un seuil qu’il ne faut jamais franchir, c’est celui de penser que tout peut se systématiser. Car, une fois encore, ce serait nier la nature même de chaque art et il en résulterait un nivellement par le bas des disciplines, donc une réduction significative de l’intérêt de l’approche multiple des arts. La correspondance des arts poussée à l’absurde serait alors le meilleur ennemi de l’esthétique comparée qui pourtant entretient et développe la transversalité des savoirs, elle-même essentielle pour la compréhension des phénomènes historiques et artistiques. Comme le souligne l’esthéticien de l’art Étienne Souriau à travers le texte ci-dessous, tiré du Vocabulaire esthétique à l’entrée « correspondance », il faut garder un sens critique aigu et respecter aussi les spécificités des disciplines.

 

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Thomas Gainsborough – The Blue Boy (L’Enfant bleu), 1770.

Une « Symphonie en bleu majeur »?

 

« Le monde des arts est divisé spécifiquement en un certain nombre d’entités, musique, peinture, architecture, etc., dont les œuvres diffèrent fortement entre elles et par leur aspect sensible. C’est une question intéressante de savoir s’il existe des correspondances entre elles, à travers leurs différences mêmes.

Il arrive que certains sujets soient traités dans plusieurs arts différents. Par exemple, la bataille de Marignan a été traitée en sculpture par Bontemps, en musique par Clément Janequin, en peinture par Fragonard fils ; et l’on peut étudier avec profit les partis pris artistiques qui résultent au choix d’un mode d’expression. Dans cet ordre d’idées, il peut être intéressant et utile pour l’esthétique comparée d’observer tous les problèmes d’adaptation qui se posent, pour la transposition d’un roman en œuvre cinématographique ou d’un motif décoratif de vannerie à la céramique. Le problème de la correspondance entre un texte et une partition musicale (mélodie ou opéra) est un problème constant.

 

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Les bas-reliefs sculptés vers 1552, par Pierre Bontemps pour le tombeau de François 1er à la basilique de Saint-Denis, nous donnent une idée des batailles et équipements de l’époque.Au premier plan à gauche, les gendarmes français conduits par François 1er, le casque surmonté d’un haut panache, la lance en arrêt. Au fond, fantassins accourant. A droite, les Suisses chargent sur quatre rangs, derrière eux quatre canons, au second plan, un bataillon de piquiers suisses

 

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Alexandre-Évariste Fragonard, François 1er à la Bataille de Marignan (1836)

Même lorsqu’il n’y a aucune identité de sujet, il est intéressant de chercher si l’on peut trouver des similitudes structurales entre des œuvres appartenant à des arts différents. Le langage de la critique d’art a la possibilité et parfois l’affectation, de transposer en rendant compte des œuvres d’un certain art, les termes techniques utilisés dans un autre domaine. Ainsi, par exemple, on dira d’un tableau : le Blue Boy de Gainsborough, que c’est une « symphonie en bleu majeur » […]. Ces sortes d’assimilation sont souvent tout à fait superficielles et affectives et ne répondent à aucune correspondance structurale véritable. C’est pourquoi une conception méthodologique sérieuse de l’esthétique doit les condamner absolument.

Il n’en est pas moins vrai qu’on a tenté souvent, et parfois avec succès, de telles transpositions. Par exemple, on a souvent cherché à appliquer aux harmonies de couleurs les lois d’harmonie positivement constatées dans le domaine musical. Newton a divisé le spectre solaire en sept régions, communément appelées les « sept couleurs du prisme » en faisant application à l’étendue de ce spectre de proportions mathématiques empruntées à une certaine structure de la gamme. Cette correspondance, absolument arbitraire, est souvent considérée, bien à tort, comme un fait naturel. Il est aisé de comprendre que les démarches d’où résultent la structure de la gamme musicale ne sauraient être effectuées dans le domaine des couleurs, répondant à des vibrations dont les longueurs d’onde ne comprennent pas l’étendue d’une octave (proportion de 1 à 2).

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Il semble donc que la comparaison directe des données des différents sens est esthétiquement stérile, et que c’est la comparaison structurale des œuvres des différents arts qui seule est féconde, et peut servir de base à une certaine conception rigoureuse de l’esthétique comparée.» 

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