Me revoici enfin ! Après quelques semaines intenses et passionnantes, je vais enfin pouvoir ralentir le rythme des conférences et concerts commentés durant les deux semaines des vacances de Pâques, l’occasion de préparer la rentrée, certes, mais aussi de prendre un peu de temps pour rédiger quelques billets laissés en attente depuis trop longtemps. Et naturellement, c’est par une schubertiade que je commence… je devrais dire des schubertiades puisque la séance dont je vais vous dire quelques mots, le dernier concert de l’U3A, s’est également donné à l’Hôtel Les Roses à Libin dans le cadre d’un séminaire d’un week-end entier consacré à Schubert… Nous le reproduiront une fois encore les 11 et 12 avril prochains au même endroit !
Photo Armand Mafit
Au programme, donc, de notre concert de l’U3A du 15 mars dernier, les Quatre Impromptus D. 899 du génial Franz ! Et pour les interpréter, deux pianistes exceptionnelles que vous connaissez déjà, Maud Renier et Justine De Wandeler, que j’ai décroché au dernier moment suite au désistement des musiciens prévus pour cette soirée. Merci à elles d’avoir sauvé la séance et d’avoir accepté avec enthousiasme de compliquer leur emploi du temps pour notre plus grand plaisir ! La formule du concert commenté est toujours séduisante pour le mélomane et parfois troublante pour le musicien. Maud et Justine sont rompues à cet exercice difficile et répondent parfaitement à ses exigences de concentration et de disponibilité. Pour moi, c’est vraiment très confortable de travailler avec elles et je m’en réjouis à chaque fois.
Photo Jean-Pierre Detry
Il était question d’envisager, à travers ces chefs-d’œuvre exceptionnels, de nombreux sujets que je ne ferai qu’énumérer ici : la petite forme, l’ impromptu et l’esprit de l’improvisation, la musique dans les salons et dans les maison privées, les formes adoptées par cette musique et surtout les caractéristiques schubertiennes de l’errance, la solitude, la consolation, la rage et le désespoir, bref, tout ce qui fait la puissance d’une musique qui, destinée à des cercles privés, dépasse et de loin la musique d’agrément.
Il faut nous souvenir que Schubert était près de sa mort, précoce, lorsqu’il a composé ses deux cycles d’Impromptus et qu’ils contiennent, avec les dernières sonates, le Quintette et d’autres œuvres bouleversantes, toutes ses interrogations et toutes ses réponses temporaires… souvent tragiques !
Photo Armand Mafit
La première pièce déroule une mélodie nue qui est quasi obsessionnelle et qui se décline mille fois dans des harmonisations différentes et des contextes rythmiques et temporels multiples. Mélodie archétypale, elle trouve toute son exaspération dans le motif du destin martelé puissamment et tragiquement au plus fort de la pièce. La fatalité schubertienne l’empêche de forcer ce destin et la pièce se termine par le même signal (sol) que celui avec lequel elle avait commencé. Maud Renier parvient sans difficulté à exprimer cette difficile déclinaison des émotions et domine cette musique avec toute la justesse de ton, la réserve et l’éclat nécessaires.
Photo Armand Mafit
Justine De Wandeler prend alors les commandes du deuxième impromptu. Elle déroule toutes ces guirlandes pourtant si délicates avec aisance et un merveilleux flot de notes sort de notre beau piano. Toute la pièce est soutenue par un rythme de valse qui, dans la partie centrale, s’exaspère une nouvelle fois provoquant à nouveau les éclats tempétueux du destin tragique de cet homme qui mourra bientôt à… 31 ans ! Justine déploie alors cette urgence musicale avec toute la puissance dramatique requise. Le public, ballotté entre le flux séduisant de la valse initiale semble suffoquer dans le cœur de l’ouvrage. C’est avec soulagement que les fontaines sonores reviennent avant d’achever la pièce rageusement dans l’expression de la danse séductrice et… fatale.
Photos Armand Mafit
Justine reste sur scène car c’est elle qui interprétera le troisième impromptu. Il est une sorte de long nocturne d’apparence paisible. D’emblée, on pense à la prière… à l’Ave Maria! Le rythme de base est pourtant très proche de celui de l’Allegretto de la Septième Symphonie de Beethoven, une œuvre que Schubert admirait profondément, mais aussi de la berceuse de la Mort, dans La Jeune Fille et la Mort. Vision apaisée, manière d’adopter l’idée de la finitude ? En tous cas, cette musique nous envoûte et nous conduit à travers les méandres harmoniques de l’errance schubertienne. Quelques fois, et de manière insistante, on entend ces trilles graves si typiques des dernières œuvres de Schubert. Ils résonnent comme un véritable glas… glaçant ! Justine nous conduit loin dans l’émotion… bouleversant !
Photos Armand Mafit
Maud Renier revient alors pour achever la séance avec le quatrième impromptu… encore une valse ! Danser tant qu’il en est encore temps ! Car la danse, pour l’homme romantique, c’est le symbole de la vie. Tout semble tournoyer en une courbe infinie. Certes par la valse vient le vertige et l’oubli, mais par la technique instrumentale aussi. Le bras droit opère un incessant geste circulaire qui part de l’aigu, descend par arpèges vers le medium et repart aussitôt pour recommencer tandis qu’imperturbablement, la main droite scande le rythme de la valse. Maud offre aux auditeurs ce vertige existentiel et, surtout, ce sentiment rempli d’émotion, d’un instinct de vie qu’on aimerait plus fort que tout !
Photos Armand Mafit
Le public acclame nos deux musiciennes qui ont réussi ce pari incroyable de faire comprendre, en quatre impromptus, l’essence de la musique de Schubert et à la faire résonner en chacun d’entre nous ! Bravo ! Je me réjouis de nos prochaines prestations communes à Libin… et ailleurs, c’est sûr !
Photo Armand Mafit