Elle m’en avait parlé depuis bien longtemps et je n’avais pas creusé le sujet, j’avais eu tort ! La pianiste Maud Renier, dont j’ai souvent parlé sur le blog et avec qui je travaille très régulièrement, vient de paraître sur un cd consacré au compositeur Leo Ornstein (1893-2002). On y trouve les Sonates pour violon et piano ainsi que la Fantaisie hébraïque pour le même effectif et Trois pièces pour flûte et piano. À la manœuvre, le formidable violoniste italien Francesco Parrino et son frère, Stefano, à la flûte. Elle m’avait confié que les œuvres d’Ornstein n’étaient pas faciles, mais qu’une fois assimilées, elles avaient un caractère très intéressant et étaient remplies d’émotion… Elle avait mille fois raison!
Écoutant plusieurs fois l’enregistrement paru pour le label Brillant Classics (95079), j’ai été immédiatement happé par une musique que je n’attendais pas. Il m’arrive souvent de m’en vouloir de ne pas connaître tel compositeur ou telle œuvre, ici, ce fut une révélation. Le personnage est assez étrange et a surtout joui d’une longévité hors du commun, il est mort à 108 ans ! Voici un résumé de la vie de Leo Ornstein tel que trouvé sur Wikipédia :
« Leo Ornstein (né Лев Орнштейн, Lev Ornchteïn) vers le 2 décembre 1893 à Krementchouk, dans l’Empire russe, et mort le 24 février 2002 à Green Bay, État du Wisconsin, aux États-Unis, à l’âge de cent huit ans, est un compositeur de musique moderne et un pianiste américain d’origine russe. Il est connu de façon notoire pour ses œuvres d’avant-garde et novatrices, mettant notamment en avant le cluster.
D’abord recommandé par Josef Hofmann pour étudier au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, il étudie l’École impériale de musique de Kiev. Recommandé ensuite par Ossip Gabrilowitsch pour étudier au Conservatoire de Moscou, il commence à étudier en 1904 au Conservatoire de Saint-Pétersbourg. Il y étudie la composition avec Alexandre Glazounov et le piano avec Anna Esipova.
D’origine juive, il fuit aux États-Unis en février 1906 pour échapper aux pogroms entrepris par l’organisation nationaliste et antisémite Union du peuple russe. Lui et les siens s’établissent à New York et Leo Ornstein continue à y étudier à l’Institut d’art musical qui devient par la suite la Juilliard School. Il se produit en concert pour la première fois à New York en 1911, mais en dépit de ses succès comme pianiste, il abandonne peu à peu cette carrière au cours des années 1920 – il donne son dernier concert à l’âge de 40 ans – pour se consacrer à l’enseignement et à la composition.
Vers 1913-1914, il publie des pièces pour piano regroupées sous les titres Danse sauvage et Impressions de la Tamise qui en font l’un des pionniers dans l’utilisation du cluster. Après avoir découvert le jazz, lors d’un voyage à La Nouvelle-Orléans, il intègre certains rythmes de cette musique dans ses œuvres ultérieures qui se ressentent également de l’influence du futurisme, notamment ses pièces pour piano Suicide in an Airplaine (vers 1918-1919), Berceuse (vers 1920-1921) et Prélude tragique (1924), ainsi que dans son Concerto pour piano (1925) et son Quintette avec piano (1927) dans lequel apparaissent des thèmes populaires de sa Russie natale. D’une inspiration plus apaisée, la pièce pour piano Morning in the Woods (1971) annonce Rendez-vous at the Lake et Solitude, deux compositions écrites respectivement en 1977 et 1978, mais qui ne seront publiées qu’en 1990.
Il continue de composer jusqu’à un âge avancé : il a 95 ans lorsqu’il achève sa Sonate pour piano no 7 (1988) et deux ans de plus lors de la publication de sa Sonate pour piano no 8 (1990). Comme professeur, il a eu pour élèves les jazzmen John Coltrane et Jimmy Smith. »
À vrai dire, la musique de Leo Ornstein est fabuleuse et pas du tout effrayante comme, parfois, certains commentateurs semblent le dire. Le fameux cluster qu’il emploie avec non seulement beaucoup de parcimonie et de poésie est certes une altération de l’harmonie tonale traditionnelle, mais reste toujours dans les domaines de l’audible. Il n’est pas question pour lui de refuser le lyrisme du chant du violon ou de la flûte. Tout reste absolument compréhensible et peut, d’ailleurs, bien souvent, faire penser à la musique de Debussy… bien avant la fameuse Sonate du célèbre français ! Ainsi, la Sonate n°1 op. 26 (1914) est très poétique, proche du symbolisme et déploie une véritable magie sonore. Il me faudra un jour l’étudier plus en détail pour donner un cours à son sujet, tant le matériau est intéressant ! Francesco Parrino et Maud Renier y adoptent le juste ton malgré une difficulté technique exceptionnelle.
Francesco Parrino
La Sonate n°2 op. 31 (1915) est d’une autre nature. Plus aride et sans doute moins immédiatement accessible, elle mérite cependant le détour et gagne à être assimilée. L’usage du cluster se fait plus radical mais inévitablement, le lyrisme reste présent. Ce qui est très étonnant, c’est que ces deux œuvres, presque contemporaines, se situent dans une telle différence de style. Mais il ne faut jamais oublier qu’en 1915, le Sacre du Printemps d’Igor Stavinsky a eu le temps de laisser digérer son scandale, que la musique atonale bat son plein en Occident et que la musique américaine se cherche encore. On se souvient de l’interrogation existentielle posée par Charles Ives (1874-1854) dans The Unanswered Question (1908) où il mettait, dans une œuvre très intéressante, en compétition la musique atonale des vents avec la musique tonale des cordes.
La prestation est spectaculaire car elle nous conduit dans la logique d’un propos qui peut nous échapper et on se dit, à l’issue de la sonate, que cette musique mérite plus qu’un succès d’estime. Elle est une passerelle vers la musique américaine du 20ème siècle.
Beaucoup plus facile à écouter, la Fantaisie hébraïque, composée pour les 50 ans d’Albert Einstein en 1929, est un véritable bijou de romantisme musical. On y entend, certes, le souvenir des origines juives d’Ornstein, mais on perçoit aussi ce que l’orientalisme peut créer comme couleurs nostalgiques, bouleversantes. On se prend à penser aux œuvres d’Ernest Bloch (1880-1959) qui, dans ses œuvres les plus remarquables, fait une véritable synthèse entre la musique juive et les préoccupations esthétiques. La musique, d’un lyrisme exacerbé est riche et magistralement menée par nos musiciens.
Maud Renier
Un simple Andante constitue la Troisième Sonate pour violon et piano. Si sa datation est incertaine, elle déploie une magie absolument envoûtante. D’étranges arpèges du piano, qu’on imagine très complexes, sont le paysage de fond d’un violon lyrique. La pièce dure un peu plus de dix minutes. En un seul mouvement, on a l’impression que tout le matériau musical s’est réduit à l’essentiel. Les couleurs orientales n’en sont pas absentes et le lyrisme, décidément très prisé par Leo Ornstein, offre un moment d’une densité tragique incomparable. Là encore, Francesco Parrino et Maud renier trouvent le ton juste et parviennent à nous bouleverser. Magique !
Scherzo de la Sonate N°1 op. 29 à 3’41 »
Reste, en complément de cette musique pour violon et piano, les Trois pièces pour flûte qui, cette, fois, sont interprétées par Stefano Parrino et Maud. Il s’agit de trois pièces provenant d’époques différentes (prélude, Intermezzo et Un Poème) mais qui se rassemblent par la proximité poétique et leur atmosphère. On se prend une nouvelle fois à évoquer Debussy et le symbolisme qui, décidément, a beaucoup contribué à l’art de Leo Ornstein. Le son subtil de la flûte de Stefano trouve dans le piano de Maud toute la finesse, translucide et colorée du jeu qu’on lui connaît. Si les couleurs orientales ne sont pas absentes de ces pièces, elles sont un magnifique complément à une œuvre à redécouvrir de toute urgence.
Pour moi, Leo Ornstein est une découverte majeure dont, après analyse plus poussée, j’en suis sûr, je reparlerai bientôt. J’ai déjà un peu exploité sa merveilleuse Quatrième Sonate pour piano, un chef-d’œuvre !… Un cd original à se procurer chez les bons disquaires (suivez mon regard… vers Visé Musique) et à écouter sans modération… !