L’âme d’un violon

Le Liégeois est bien souvent trop modeste et ne regarde pas toujours ce que sa ville, sa région ou sa principauté a pu produire comme génie. Et s’il est une constante propre à notre région, c’est justement cette géographie unique, « carrefour » des cultures. Un peu de germanique, une bonne dose de française et un brin de hollandaise… le tout donnant un cocktail détonant enrichi encore d’une forte identité locale ainsi que des apports divers de voyageurs empruntant nos chemins au fil des siècles.

Et parmi cette immense richesse culturelle, la musique occupe une place prépondérante, tant dans le talent des compositeurs de nos régions qui, depuis le moyen-âge jusqu’à nos jours font resplendir Liège bien au-delà de nos frontières, que par celui d’exceptionnels virtuoses liégeois à la réputation mondiale.

Mes toutes premières émotions musicales, je les dois à mon grand-père maternel qui était un violoniste amateur, certes, mais passionné. C’est lui qui, le premier, m’a emmené aux concerts de l’Orchestre philharmonique de Liège (qui n’était pas encore royal à l’époque), de l’Opéra royal de Wallonie et d’autres prestations ponctuelles. Il a suivi mes études musicales de très près… je lui dois une bonne part de ma passion.

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Mais mon tout premier souvenir de concert, c’est une soirée où se produisaient Les Solistes de Liège, cet ensemble de musique de chambre qui avait été fondé par Henri Koch, puis qui avait été repris avec beaucoup de succès par son fils Emmanuel. Je n’ai plus la moindre idée de l’année de ce concert, ni du lieu où il se déroulait (peut-être le 104 à Saint-Servais), ni du programme qui y était interprété, mais je revois la salle remplie, les fauteuils qui ressemblaient à ceux des anciennes salles de cinéma. Je sens encore l’excitation face à l’inconnu… Je n’en attendais pas tant ! J’avais été littéralement hypnotisé en écoutant cette musique qui émanait de la scène, cette harmonie paisible qui me remplissait, ce chant limpide que j’aurais aimé chanter ou jouer moi-même.

 

Je dois donc à Emmanuel Koch (1930-2005) les émois déterminants qui me poussèrent vers la musique. Bien que je n’aie pas connu personnellement le musicien, j’ai toujours gardé le souvenir ému de cette soirée. Puis, bien plus tard, je me suis rendu compte que la famille Koch constituait une véritable dynastie de musiciens, surtout de violoniste (mais quelques pianistes exceptionnels font beaucoup parler d’eux aussi) qui comptaient dans la grande école liégeoise de violon. J’ai même alors appris que celui qui m’avait ému à ce point était presqu’un de mes voisins. Installé à Mons-lez-Liège, le virtuose habitait non loin de chez moi à Hollogne-aux-Pierres (Grâce-Hollogne actuellement).

 

Fréquentant de plus en plus le monde musical et les établissements d’enseignement musical, j’ai vite compris qu’il jouissait d’une aura vraiment exceptionnelle et qu’il était l’un des fleurons de notre vie musicale. Je l’ai entendu à de nombreuses reprises ensuite avec toujours le même ravissement. J’ai donc été particulièrement ému et intrigué lorsque j’ai reçu de sa fille, Martine Koch et de sa veuve, Micheline Chamberlan, un opuscule rédigé de la main d’un autre liégeois fameux, l’acteur, dramaturge et directeur de théâtre José Brouwers, reprenant une petite biographie traitée sur un ton léger, bien liégeois, rempli de la sympathie, d’émotion et d’humour ainsi qu’un double cd reprenant quelques enregistrements du maître. Je me suis jeté sur le cd, puis j’ai lu avec passion le petit livre en question qui parlait de cet homme si important dans mon parcours.

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Ému, je l’étais aussi parce que la famille d’Emmanuel Koch avait pensé à moi pour m’envoyer ces documents. Elle ne connaissait pourtant pas mon rapport émotionnel à Emmanuel !

En lisant l’ouvrage, j’ai découvert un personnage joyeux, blagueur, bon vivant, mais toujours très respectueux de son métier et de sa mission musicale. C’est en effet ce qui ressortait de mes premières émotions. Puis, de nombreuses anecdotes sur la musique à Liège, sur le Quatuor municipal de Liège, par exemple, sur le fameux et regretté Concours de Quatuors à cordes de Liège qui fut patronné par la Reine Élisabeth et qui faisait de la Cité ardente, selon la presse, la « capitale mondiale du quatuor à cordes », sur les personnages qu’il avait côtoyé… et que je connais personnellement aujourd’hui pour la plupart.

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Le livre fait aussi la part belle aux témoignages de ses amis. Parmi eux, de nombreux personnalités marquantes qui font rayonner le savoir-faire et l’art des liégeois au-delà de nos frontières. Citons en vrac Philippe Koch, Juliette Longrée-Poumay, Eduardo Lomonte, Anne Froidebise, Cécile Leleux, Jean-Gabriel Raelet, Patrick Dheur, Martin Pirard ou Lily Portugaels.

Quant au double cd, il est un véritable hommage au talent du virtuose. On y sent toute la générosité de l’homme et je retrouve un peu de ce bonheur qui agit en moi comme une Madeleine de Proust. Le premier cd affirme l’appartenance d’Emmanuel Koch à l’école liégeoise de violon en proposant de très belles versions de la Sonate de C. Franck, de celle de G. Lekeu ainsi que de quelques pièces d’E. Ysaye (dont une merveilleuse 3ème Sonate pour violon solo). Quant au second, il explore le talent protéiforme de l’artiste de L van Beethoven (Kreutzer) à S. Prokofiev en passant par F. Schubert et M. Ravel… un régal ! Accompagné par le pianiste Joop Grubben, ces enregistrement sont tous pris en concert, ce qui ajoute au prestige de l’interprétation. Ces enregistrement confirment les mots de Paul Claudel qui affirmait, dans les années 1930 que « Liège a donné la musique à l’heureuse Belgique : Franck, Grétry, Lekeu, Vieuxtemps… Et le son clair et touchant de son violon domine encore le fracas métallurgique ». Aujourd’hui à Liège, la métallurgie s’est tue, mais le violon, lui continue de sonner pour notre plus grand bonheur à travers l’héritage qu’il nous a laissé et ses nombreux étudiants et disciples qui continuent à transmettre son art.

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Pour finir cet hommage et vous inciter à vous souvenir d’Emmanuel Koch en visitant le site qui lui est consacré, en lisant ce petit ouvrage, véritable tranche de vie de la musique à Liège et en écoutant sans modération ces beaux cd’s, je reprends quelques mots, si justes, du témoignage de Lily Portugaels, directrice honoraire de la Gazette de Liège au sein de la Libre Belgique et critique musicale de haut niveau, synthétisant en quelques mots l’essentiel : « Outre son talent, Emmanuel possédait le don bien liégeois d’établir immédiatement un contact chaleureux avec son public. […] Ceux qui nous ont quittés ne meurent vraiment, dit-on, que lorsqu’ils sont oubliés. Emmanuel Koch n’est certainement pas près d’être oublié ».

Un avis sur “L’âme d’un violon

  1. Un bel hommage et de beaux souvenirs qui continuent à vibrer comme l’âme du violon au-delà du temps qui passe.

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