Louange à Gutenberg

 

Gigantesque, le mot n’est pas trop fort, pour désigner la Deuxième symphonie « Lobgesang », Chant de louange, de Félix Mendelssohn (1809-1847), une œuvre souvent qualifiée d’hétérogène et peu convaincante que je vous propose pourtant, en ce début de vacances, d’écouter sans a priori. Elle mérité bien plus que le mépris dans lequel l’ont plongée les critiques. Très précoce, Mendelssohn n’avait que dix-sept ans lorsqu’il écrivit, en 1826, le fameux « Songe d’une nuit d’été », l’un des grands témoignages du romantisme musical. Il n’en était pas à son coup d’essai, puisque entre 1821 et 1825, il avait déjà écrit ses Douze Symphonies pour cordes, plusieurs concertos et son célèbre Octuor!

 

Mendelssohn, Aquarelle de Leipzig.jpg

Aquarelle de la main de Felix Mendelssohn représentant Leipzig et l’église Saint-Thomas ainsi que son école adossée où Bach fut actif entre 1723 et 1750.

 

En 1829, il fit ré-exécuter la Passion selon Saint Matthieu de Bach qui dormait depuis un siècle. Il donnait, de la sorte, une véritable impulsion à l’historicisme musical et à la redécouverte du Cantor de Leipzig. Ces deux aspects de la personnalité de Mendelssohn furent déterminants dans sa brève mais riche carrière musicale. Il fut, de fait, un personnage toujours à la pointe de la pensée de son siècle tout en mesurant l’importance du passé et des grands modèles historiques.

 

Mendelssohn

 

 

C’est justement cet esprit de synthèse qui semble poser de nombreux problèmes aux musicologues et condamnent le compositeur à figurer trop souvent parmi les artistes de « seconde zone ». Et pourtant, il ne l’est certes pas. Depuis quelques temps, je fréquente un peu plus ce musicien que je considérais moi-même avec injustice. Ma surprise est venue d’abord avec la Cinquième symphonie « Réformation » tant décriée (par Mendelssohn lui-même) et considérée par beaucoup comme un des plus grands ratés de l’histoire de la musique. Alors que je devais présenter l’œuvre lors d’un concert commenté à l’OPRL, j’ai, au contraire et pour ma plus grande surprise, découvert là un maillon essentiel du romantisme. « Réformation » joue un rôle essentiel dans le langage romantique en mettant en oeuvre de nombreux procédés repris et adoptés par de nombreux compositeurs avec, en tête Richard Wagner.

 

Mendelssohn, Lobgesang, Symphonie n°2, Orchestre, Gutenberg, Leipzig

Fanny Mendelssohn (1805-1847)

 

Depuis, je n’ai plus cessé d’explorer la musique de chambre (Sonates, trios et quatuors), la musique de piano (surtout les préludes et fugues, les Chansons sans paroles,…),les concertos,  les oratorios (Paulus et Elias) ainsi que la musique religieuse (Psaume 42, Lauda Sion,…) et les symphonies (Écossaise, Italienne et Lobgesang). Il va sans dire que la mise à l’index et le dénigrement de sa musique par le régime nazi n’a pas aidé à la diffusion sereine de la musique de Mendelssohn. Beaucoup ont aussi voulu voir chez cet homme bien né et très cultivé, une absence de souffrance que l’artiste serait censé vivre pour faire éclore son œuvre. Il n’en est évidemment rien et la musique de Mendelssohn est sentie jusqu’au fond de son âme avec une force qui égale celle des plus tragiques destins. Il éprouvera lui-même l’effroyable souffrance à la mort de sa sœur Fanny avec qui il entretenait une relation fusionnelle. Il ne lui survivra que six mois, composant alors quelques œuvres désespérées comme le dernier quatuor à cordes ou le bouleversant chant nocturne.  


 

Mendelssohn Lobgesang édition originale
 

La deuxième symphonie fut donc composée en 1840 pour le quatrième centenaire de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. On célébrait à Leipzig, avec une grande solennité, cette invention qui allait permettre de diffuser les ouvrages religieux et littéraires au plus grand nombre. La ville où Mendelssohn officiait, il avait amené le fameux orchestre du Gewandhaus à une grande réputation, était aussi la capitale allemande de l’édition. Pas surprenant que de grandes festivités y furent organisées pour la circonstance. L’œuvre fut jouée à l’église Saint-Thomas de Leipzig (où se trouve la tombe de Bach) le 24 juin 1840 par cinq cents chanteurs et instrumentistes placés sous la direction de Mendelssohn lui-même, alors directeur de l’orchestre du Gewandhaus. Elle fait partie des œuvres les plus longues et ambitieuses du compositeur. Bien que la symphonie était déjà sa quatrième, il la publia sur le numéro deux car il estimait que l’ « Italienne » et l’ « Écossaise », les plus populaires aujourd’hui, devaient encore être révisées et que la « Réformation » était un échec sans espoir de publication. La Symphonie Lobgesang fut accueillie avec un immense succès et, selon le témoignage de Robert Schumann : « L‘enthousiasme et la ferveur furent tels que des murmures s’élevèrent dans toute l’assemblée. »

 

Mendelssohn, Lobgesang, Symphonie n°2, Orchestre, Gutenberg, Leipzig

Bible de Gutenberg, bibliothèque du Congrès, Washington D.C.

 

Le tout est de savoir si le « Chant de louange » (Lobgesang) est une véritable symphonie. Elle allie en effet des éléments venus en droite ligne des techniques symphoniques et de celles de l’oratorio. Mendelssohn parlera lui-même de « Symphonie-Cantate », terme sans doute plus approprié. Si le modèle de la Neuvième de Beethoven semble évident, avec ses trois mouvements orchestraux et un final très développé faisant intervenir chœurs, solistes et orchestre, la comparaison s’arrête là. Le gigantesque final de Mendelssohn est un véritable oratorio autonome dont le thème premier est à chercher dans l’introduction du premier mouvement, un thème s’inspirant du Magnificat et prenant l’allure d’un motif cyclique. On ne peut nier cependant une vraie rupture entre les mouvements orchestraux et le final. C’est ce manque d’unité qu’on lui a souvent reproché. Le texte du final est originaire de la Bible de Luther et constitue des louanges parfaitement triées par Mendelssohn. On y entend tour à tour des formes polyphoniques très développées issues du canon et de la fugue ; mais aussi des solos très mélodiques et des chorals luthériens d’une grande intériorité. Certains ont voulu donner à Mendelssohn l’aspect d’un opportuniste religieux. À mon humble avis, il n’en est rien! Le compositeur avait été baigné de pensée œcuménique depuis sa plus tendre enfance et était lui-même un sincère croyant. En ce sens, l’œuvre est avant tout très émouvante et pleine de ferveur. Pour lui, le propos est simple. Il s’agit de reconnaître l’action de Dieu dans les inventions humaines. La citation que le compositeur place en tête de sa partition est empruntée à Luther et reprise à son propre compte : « Je voudrais voir tous les arts, et spécialement la musique, au service de celui qui les a donnés et créés ».

 

Le début de l’œuvre expose au trombone le fameux thème du Magnificat grégorien qui crée des relations complexes sur le plan de la composition et du contenu. Il se présente à plusieurs reprises tout au long de l’œuvre.

 

 

Mendelssohn, symphonie n°2 a.png

 

 

Cette grande forme sonate développe un parcours qui oscille entre le solennel choral et une fougue proche du « Sturm und Drang » des romantiques. Ce grand thème fait penser au thème initial de la neuvième de Schubert (la Grande) que Mendelssohn avait aussi fait rejouer avec la complicité de Robert Schumann. Si ce thème générateur est neutre au départ dans sa forme orchestrale, il prend tout son sens avec l’entrée du chœur sur les mots : « Que tout ce qui respire loue le Seigneur ».

 

 

 

Le deuxième mouvement (Allegretto un poco agitato) est une vraie romance sans parole à l’esprit si romantique. S’y intercale le choral dans une forme plus souple. Le grand Adagio religioso qui fait office de troisième mouvement déclame ses mélodies avec un recueillement profond et sublime.

 

Le final utilise surtout le style d’église, mais montre comment Mendelssohn maîtrise merveilleusement la rhétorique héritée de Bach (dont il a fréquenté la musique assidûment). Entre les grands ensembles où résonne le thème initial dans d’étourdissantes fugues, les solos sont remarquables, à l’image de cet air de ténor qui implore, avec une émotion très forte, Dieu de dissiper les ténèbres. On peut même y déceler un motif qui pourrait être à l’origine du thème initial de la Deuxième de Mahler … les filiations sont très nombreuses en musique, j’y reviendrai dans un prochain billet.

 

Voici l’intégralité du texte chanté… cliquez dessus pour l’agrandir:

 

Mendelssohn Lobgesang Texte 1.png

Mendelssohn Lobgesang Texte 2.png

Mendelssohn Lobgesang Texte 3.png

Et, si vous désirez acquérir l’oeuvre en cd, une version qui me parait réaliser un équilibre parfait entre le clarté de la musique et le romantisme qu’elle véhicule:


 

Mendelssohn Abbado
 


Bref, une œuvre à (re)découvrir absolument!

Bonne écoute…

Un avis sur “Louange à Gutenberg

  1. Ah, la filiation! Je m’en vais l’emprunter à la médiathèque car votre analyse m’a fait frétiller les oreilles d’envie…

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