Un jour… Un chef-d’œuvre! (89)

« Il porte le ciel et la terre
Pour habit d’été. »

Takarai Kikaku
1661-1707

 

Jan Vermeer (1632-1675), Vue de Delft (1660-61)

 

Christian Herwich (1609-1663), Prélude – Allemande – Courante pour luth interprété par Ulrich Wedemeier.

 

Marcel Proust a défini La Vue de Delft dans une lettre à son ami Jean-Louis Vaudoyer comme « le plus beau tableau du monde ». Il décrit le tableau dans le cinquième tome de son roman À la recherche du temps perdu, La Prisonnière, après l’avoir lui-même découvert au Jeu de Paume, à Paris. Dans son roman, il met en scène la découverte de la toile par le romancier Bergotte en ces termes :

« Il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu’il veut saisir, au précieux petit pan de mur. « C’est ainsi que j’aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune » »

Marcel Proust (1871-1922), La Prisonnière, cinquième tome d’ À la recherche du temps perdu de Marcel Proust publié en 1923 à titre posthume.

 

« La vie de Vermeer tient en quelques dates dont les sources sont sûres. Il naît à Delft en 1632, il est le fils d’un tisserand. Il se fait baptiser dans l’église de la Nieuwe Kerk (la nouvelle église), visible dans le tableau de la Vue de Delft. En 1653, il se marie et entre dans la guilde de Saint-Luc de Delft. Il meurt en 1675 et est enterré dans l’Oude Kerk (la vieille église) de sa ville qu’il n’a jamais quittée.

Sa ville, pourtant, il ne la représente que très peu, surtout si l’on met son Œuvre en parallèle de celui de Peter De Hooch, qui réalise un grand nombre de vues extérieures. De Vermeer, nous ne connaissons actuellement que deux tableaux montrant l’extérieur : la Ruelle (vers 1658) et la Vue de Delft.

Tout l’art de Vermeer est présent dans ce tableau. Ce qui frappe d’emblée c’est le calme. Aucun mouvement brusque n’est présent. A peine pourrait-on peut-être entendre le clocher de l’église. L’eau est calme, les petits personnages immobiles. Le sphinx de Delft n’est-il pas aussi appelé le peintre du silence ? Le temps s’est étiré. De petites touches suggèrent les reflets de l’eau ou un accroc de lumière sur les toits dorés. Un nuage sombre plonge la ville proche dans des couleurs plus brunes, tandis qu’une forte lumière éclaire l’arrière de la toile, ce qui a pour effet d’allonger la perspective et de guider l’œil du spectateur. Si nous nous doutons qu’il a eu, comme pour beaucoup d’autres de ses peintures, recours à la camera obscura (chambre noire en français, instrument optique qui permet d’avoir projeté en deux dimension sur une surface plane la lumière donnant une vue très proche de la vision humaine), Vermeer joue cependant quelque peu avec la réalité topographique, en accentuant la ligne d’horizon par une égalisation des toits des maisons. Les bâtiments restent cependant largement reconnaissables, notamment la porte de Schiedam au centre, qui permettait d’accéder à la ville. Le ciel aux gros nuages cotonneux éternise la composition, sans la figer pour autant. Là est l’art du peintre, la facilité de rendre la scène pleine de mystère tout en ne laissant aucun indice assez éloquent pour le percer. Certains historiens de l’art ont même fait de la lumière dorée enveloppant le clocher de la Nieuwe Kerk un symbole de l’indépendance des Pays-Bas, puisqu’elle abrite le cercueil de Guillaume Ier d’Orange, appelé le « Libérateur des Provinces-Unies » depuis 1584. »

Célia De Saint Riquier (https://www.coupefileart.com/post/a-la-recherche-d-un-temps-suspendu-la-vue-de-delft-de-vermeer)

 

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