“Même le diable fut un ange au commencement.”
Proverbe anglais
Hans Memling (vers 1435-1494), Anges musiciens, détail, 1489.
César Franck (1822-1890), Rédemption, FWV 52: VIII. Chœur des anges. « Nous sommes au ciel », Vlaams Radio Koor et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, dirigé par Hervé Niquet.
VII. CHŒUR DES ANGES
Nous sommes au ciel,
Bien loin, bien loin de vos fanges ;
Nous disparaissons,
Nos cœurs sont remplis de douleurs étranges
Et d’amers frissons.
Des sentiers promis, des routes si belles
L’homme s’est enfui ;
Et, le front voilé de nos blanches ailes,
Nous pleurons sur lui !
« Le monde biblique est effervescence, ébullition, turbulence, bouillonnement, trépidance. Des nations vont, des peuples viennent. Pour le commerce ou pour la guerre, des tribus se déplacent sur des distances considérables. Tout est houle, impétuosité, éruption. Les portes claquent. Yahvé ne s’est pas choisi un peuple flegmatique: l’Hébreu a le sang chaud, le geste vif, la langue agile.
Pour réguler ce tohu-bohu – le mot issu de l’hébreu tohou-vavohou qui désignait le chaos originel juste avant la création du monde -, il fallait des émissaires taillables et corvéables à merci, capables de se déplacer à la vitesse du vent (la vitesse de l’éclair, c’était encore mieux), fiables et véridiques pour le Créateur comme pour les créatures: ce sont les anges. Créés avant l’homme, ils délivrent les messages divins, les promesses radieuses comme les verdicts terribles.
Rogier van der Weyden dit Rogier de la Pasture (vers 1400-1464), Le Jugement dernier, les Anges rouges, (détail).
C’est un ange, Gabriel qui porte à Marie l’éblouissante et douce nouvelle qu’elle attend un petit garçon qui sera rien de moins que le Sauveur du monde. Mais ce sont aussi les anges que l’Éternel charge de missions horrifiantes – tels l’Ange Exterminateur qui, durant la nuit du 15 Nissan (premier jour de Pessah), fait mourir tous les premiers-nés égyptiens de sexe mâle, ou cet autre ange qui, en l’espace d’une nuit, réussit l’exploit (?) d’occire à lui tout seul « dans le camp d’Assour 185 000 hommes. Ils se sont levés tôt le matin, et voilà: ce ne sont plus que cadavres » (2R 19, 35).
L’homme ne pouvant voir la face de son Dieu sans mourir, celui-ci use du subterfuge d’un ange pour nous approcher. Ce sont bien les mots de l’Éternel qui sont dits, mais c’est un ange qui les prononce à sa place. Épargnant ainsi la mort au mortel, – mais pas forcément l’effroi, car tous ces anges n’ont pas le physique de rêve que nous leur prêtons.
Les anges sont en effet d’une beauté bouleversante dès lors qu’ils revêtent – et d’une certaine façon transcendent – l’apparence humaine. Alors, ils émerveillent, ils subjuguent. […]
William Bougereau (1825–1905), La Vierge aux Anges musiciens, 1881.
Certains anges sont infiniment moins attirants. C’est le cas des chérubins.
Leur nom, à la suite d’un véritable détournement linguistique, évoque la joliesse infantile, l’attendrissement devant la petite enfance – alors que chérubin vient de l’hébreu kerouwin qui lui-même correspond au nom babylonien de kâribu attribué aux génies menaçants qui montaient la garde à la porte des temples et des palais. Loin d’être les bébés ailés et potelés de l’iconographie sacrée (les putti de la Renaissance), les vrais chérubins ont en réalité l’aspect peu engageant d’un sphinx monstrueux. […]
Ce sont d’ailleurs les chérubins, de surcroît armés d’épées crachant des spirales de feu, que l’Éternel dispose aux portes du Paradis terrestre pour dissuader l’homme d’y jamais venir.
Giovanni Battista Rosso Fiorentino (1494-1540), Chérubin musicien.
Gustav Mahler (1860-1911), Troisième Symphonie, 5ème mouvement, Trois anges chantaient… Bimm Bamm, interprété par le Birmingham Symphony Orchestra et le Birmingham Youth & Ladies Choruses dirigés par Simon Rattle.
Dieu a donné aux anges une prodigieuse mobilité. Ils sont des myriades et des myriades de myriades à courir le monde, à faire la navette en un clin d’œil entre le ciel et la terre […] Codifiée au 6ème siècle par Denys l’Aréopagite, mais non reconnue par l’Église, il existe une hiérarchie des créatures célestes. Il s’agit, dans l’ordre croissant d’importance, des Anges, des Archanges, des Principautés, des Vertus, des Puissances, des Dominations, des Trônes, des Chérubins et, tout en haut, des Séraphins.
Infiniment puissants, immensément gentils et doux, les anges sont parfois tentés par la vie terrestre, prêts à renoncer à leurs attributs les plus ébouriffants pour se mêler à nous… c’est du moins l’image qu’en donnent certains films… […]
Didier Decoin, Dictionnaire amoureux et illustré de la Bible, Paris, Éditions Gründ, 2015, pp. 38-42.
Les Frères Van Eyck, Les Anges musiciens (détail du triptyque de l’Agneau Mystique), 1429.