Un jour… Un chef-d’oeuvre! (76)

« As-tu déjeuné Jaco?
Et de quoi?
As-tu déjeuné, Jaco?
Et de quoi?
Ah! Ah! Ah!
As-tu déjeuné Jaco? Ah! »

Immortel poète inconnu…

76a. Jan Davidzoon de Heen, Table d'apparat avec perroquets, 1650.

Jan Davidszoon de Heem (1606-1684), Table d’apparat avec perroquet, 1650.

Charles-Valentin Alkan (1813-1888), Marche Funèbre Pour La Mort d’Un Perroquet (1859).

« La musique d’Alkan est pleine d’un humour très fin. Il aime à se moquer du sérieux des musiciens romantiques, pour lesquels la composition était une question de vie ou de mort. En ces moments-là, il devient presque antiromantique, un rationaliste plein d’ironie. On ne pourrait imaginer, au 19ème siècle, nul autre compositeur qui aurait été capable d’écrire un morceau tel que cette « Marcia funebre sulla morte d’un papagallo » (1859) est une oeuvre unique en son genre. Alkan la composa alors qu’il menait une vie de reclus. On ne dispose, sur cette période de sa vie que peu d’informations. Dans ses lettres à Hiller, il parle souvent de son mauvais état de santé. Pourtant il créa pendant les années cinquante ses œuvres les plus importantes. La « Marcia funebre » est une véritable satire sur les innombrables marches funèbres de l’ère romantique, dont il avait composé lui-même quelques unes. Georg Philipp Telemann eut justement cette idée en 1737 (voir le billet d’hier). […] Bien qu’ Alkan fût un musicien savant et érudit, on ne peut affirmer avec certitude qu’il connaissait la cantate de Telemann.

La musique d’Alkan est pleine d’un humour très fin. Il aime à se moquer du sérieux des musiciens romantiques, pour lesquels la composition était une question de vie ou de mort…Tandis que Telemann utilisait les moyens musicaux de l’opéra bouffe et des intermèdes afin de créer une ambiance d’amusement et de parodie sans malice, Alkan saisissait l’occasion de composer une caricature virulente et grotesque. Écrit pour deux sopranos, ténor et basse accompagnés de trois hautbois et d’un basson, l’effet musical nasillard donne une impression absolument bouffonne. Le « poème » se compose de quelques mots répétés constamment: « As-tu déjeuné Jaco? Et de quoi? As-tu déjeuné, Jaco? Ah! Ah! Ah! As-tu déjeuné Jaco? Ah! », la phrase stéréotype des propriétaires de perroquets. Alkan a choisi comme mode ut mineur, traditionnellement la tonalité sombre et lugubre. Les instruments commencent la marche d’une manière lourde et pesante, mais, dès le début, l’ambiance tragique est entraînée vers le ridicule par leur timbre déplacé. Après le prélude instrumental, le ténor pose la question cruciale lors d’un très court récit suivi par la basse en forme d’écho – parodie délicieuse du geste tragique et significatif des récits habituels. […] »

Britta Schilling, Charles Valentin Alkan : un solitaire dans le Romantisme français, dans Le Romantisme revue du XIXème siècle, 1987, pp. 37-39.

Le meilleur du Monde de Jamy – Un perroquet, ça parle énormément. Un document amusant et très intéressant sur les mécanismes de la voix des oiseaux…

LE PERROQUET

Un gros perroquet gris, échappé de sa cage,
Vint s’établir dans un bocage :
Et là, prenant le ton de nos faux connaisseurs,
Jugeant tout, blâmant tout, d’un air de suffisance,
Au chant du rossignol il trouvait des longueurs,
Critiquait surtout sa cadence.

Le linot, selon lui, ne savait pas chanter ;
La fauvette aurait fait quelque chose peut-être,
Si de bonne heure il eût été son maître
Et qu’elle eût voulu profiter.
Enfin aucun oiseau n’avait l’art de lui plaire ;
Et dès qu’ils commençaient leurs joyeuses chansons,
Par des coups de sifflet répondant à leurs sons,
Le perroquet les faisait taire.

Lassés de tant d’affronts, tous les oiseaux du bois
Viennent lui dire un jour : mais parlez donc, beau sire,
Vous qui sifflez toujours, faites qu’on vous admire ;
Sans doute vous avez une brillante voix,
Daignez chanter pour nous instruire.
Le perroquet, dans l’embarras,
Se gratte un peu la tête, et finit par leur dire :
Messieurs, je siffle bien, mais je ne chante pas.

Jean-Pierre Claris de Florian, dit Florian (1755-1794).

76b. Illustration pour la Fable Le Perroquet de Florian

Jean-Jacques Grandville (1803-1847), Illustration pour Le Perroquet dans le recueil des Fables de Florian.

À suivre…