Un jour… Un chef-d’oeuvre! (49)

« Je ne bâillonne pas l’exubérance tropicale de nos forêts et de nos ciels, que je transpose intuitivement sur tout ce que j’écris. »

Heitor Villa-Lobos

49a. Henri Douanier Rousseau, Le Rêve, 1910.

Henri Rousseau, dit Le Douanier Rousseau (1844-1910), Le Rêve, 1910.

Heitor Villa-Lobos (1887-1959), Bachianas Brasileiras n°5 pour soprano et huit violoncelles, interprétée par Barbara Hannigan et les violoncellistes de l’Orchestre symphonique de Göteborg, 2016.

Les Bachianas brasileiras sont une série de neuf suites. Elles ont été écrites pour diverses combinaisons d’instruments et de voix entre 1930 et 1945. Chacune représente une fusion entre des airs du folklore brésilien ou des musiques populaires brésiliennes et le style de Jean-Sébastien Bach. La plupart des mouvements de chaque suite ont deux titres, l’un emprunté à Bach (Prelúdio, Fuga, etc.), l’autre brésilien (Embolada, O Canto da Nossa Terra, etc.). Wikipédia.

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Frida Kahlo (1907-1954), Viva la vida, 1954, un de ses derniers tableaux…

La vie est une série de collisions avec l’avenir.

« La philosophie de José Ortega y Gasset (1883-1955) est centrée sur la vie. Analyser le monde de façon froide et détachée ne l’intéresse pas; ce qu’il veut, c’est examiner comment la philosophie peut s’impliquer de façon créative dans notre vie.

Pour Ortega, la raison n’est pas passive, elle est une chose active – elle nous donne prise sur les circonstances dans lesquelles nous sommes plongés, elle nous permet de modifier le cours de notre vie dans un sens plus favorable. Dans ses Méditations sur Don Quichotte (1914), il écrit: « Je suis moi-même et ma circonstance ». Ortega estime que se concevoir comme séparé du monde n’a aucun sens. Si nous voulons réfléchir sérieusement sur nous-mêmes, nous devons bien voir que nous sommes en permanence immergés dans un contexte, dans un ensemble de circonstances particulières – qui bien souvent nous restreignent et nous contraignent. Si la plupart des gens vivent sans s’interroger sur la nature de leur « circonstance », le philosophe, dit Ortega, doit non seulement s’efforcer de mieux comprendre sa « circonstance », mais encore chercher sans relâche à la modifier.

L’énergie de la vie

Pour changer leur circonstance, les philosophes doivent d’abord remettre en question toutes leurs croyances, comprendre d’où elles leur viennent, puis s’employer à créer des possibilités nouvelles. Ortega est ici proche de Husserl, le père de la phénoménologie, qui considérait que la réalité est un processus en évolution, dans lequel l’individu et le monde sont dépendants l’un de l’autre. De la même façon, Ortega dit que nous sommes façonnés par le monde dans lequel nous sommes nés, mais que nous pouvons à notre tour façonner notre monde en modifiant la façon dont nous le percevons.

Pourtant, reconnait Ortega, nous aurons beau nous affranchir de toutes nos limites, imaginer tous les futurs possibles, les circonstances imposeront toujours des restrictions à l’accomplissement de ces projets. La réalité du monde fera toujours obstacle à nous rêves. C’est en cela que la vie est une série de collisions avec l’avenir.

La pensée d’Ortega est dérangeante à la fois sur le plan personnel et sur le plan politique. Elle revient à dire que tout projet de changement ne pourra jamais aboutir, mais que nous avons néanmoins le devoir de continuer à nous battre contre les limites qu’impose la circonstance. Dans la Révolte des masses (1930), Ortega discerne dans la démocratie la menace de la tyrannie de la majorité; vivre selon la règle majoritaire – vivre « comme tout le monde », dit-il – , c’est vivre sans vision personnelle, sans avoir une morale qui soit véritablement nôtre. Si nous ne nous impliquons pas de façon créative dans notre vie, nous ne vivons pas vraiment. C’est pourquoi, pour Ortega y Gasset, la raison est vitale – c’est en elle que réside l’énergie même de la vie.»

Article dans Tous Philosophes, Les grandes idées tout simplement, Paris, Éditions Prisma, 2011, pp. 242-243.