Larmes d’amour…

Larmes, larmes humaines
Vous coulez tôt et tard –
Vous coulez anonymes, vous coulez sans être vues
Inépuisables, innombrables –
Vous coulez comme des torrents de pluie
Dans les profondeurs d’une nuit d’automne.

Traduction du poème de Tioutchev figurant en exergue du troisième mouvement de la Fantaisie-Tableau de S. Rachmaninov.

Je me suis fait rare, ces dernières semaines, sur le blog et sur les réseaux sociaux. Certains se sont même demandés pourquoi un tel silence et, manifestement un peu inquiets, m’ont envoyé des messages pour s’assurer que j’allais bien. Je les en remercie vivement. Les conférences, cours et séminaires ont repris sur un rythme effréné et mes agendas sont assez compliqués. Ils ne me laissent pas beaucoup de temps pour communiquer et rédiger des billets ou des textes. Ce soir, je prends le temps de prendre la plume… pour vous donner quelques nouvelles…  Je vais bien… même si le statut de Papou est tout nouveau pour moi et me signale avec un clin d’œil amusé que je ne rajeunis pas !

Vous l’avez compris, notre chère fille Chloé et son compagnon, Sébastien viennent d’accueillir un magnifique bébé… Sans doute le plus beau du monde (si, si, ne riez pas ! ;-)). C’est une petite fille qui se prénomme Louise et qui est en pleine forme ! Un être innocent et fragile, quel émotion devant le miracle de la vie ! C’est un bonheur encore inconnu pour Jacqueline (ma Mamou adorée) et moi, mais une joie qui, immanquablement, nous tire des larmes d’une douce mais forte émotion. Je m’autorise aujourd’hui à publier une photo… ce ne sera pas fréquent, la vie privée de la famille est sacré et ce n’est pas un sujet que je traite régulièrement dans mes publications… ! Cela ne changera pas !

Parmi les quelques personnes qui vivent de près cet événement important, l’une des plus heureuses est sans doute ma maman. Imaginez ! Elle devient arrière grand-mère pour la première fois ! Quand le jeudi 20 janvier, sur le temps de midi, je lui ai téléphoné pour annoncer la venue de Louise, ses larmes ont coulé pendant près d’une demi-heure ! Larmes de joie, larmes d’amour… mais sans doute aussi larmes de tristesse. Maman a dû, depuis le milieu du mois de janvier, quitter son appartement où elle n’était plus en sécurité. Parfaitement consciente de son état et de son handicap moteur, elle avait demandé qu’au décès de sa meilleure amie, une véritable amie qu’elle et qui l’accompagnait depuis près de vingt ans, elle puisse aller dans une maison de repos pour vivre en toute sécurité la dernière étape, très longue, je l’espère, de sa vie. Nous avions alors visité une belle maison de la région liégeoise… Émotion et larmes, donc, lorsque la maison de repos (pas du groupe ORPEA) m’a téléphoné pour annoncer qu’une chambre était libre pour elle. Soulagement, mais déchirement, larmes de tristesse de quitter des lieux où la vie s’était déroulée avec ses joies et ses peines, où mes parents avaient vécus, où mon cher papa avait subi sa terrible maladie… Larmes d’incertitudes face à l’inconnue et le bouleversement d’une routine familière. Larmes d’espoir face à un nouveau pan de la vie qui s’ouvre, mais auquel il faut s’adapter… pas facile de vivre la communauté et les règlements d’ordre intérieur quand on a vécu seul pendant de nombreuses années… Une adaptation sera nécessaire, mais ma maman est une femme pleine de ressources et une personne très sociable. Passées les semaines de dépaysement, je suis certain qu’elle saura prendre ses marques et vivre pleinement cette nouvelle étape.

Tout cela pour vous dire que les larmes de joie et de tristesse se côtoient toujours dans la vie et que, comme je le dis souvent lors de mes cours et conférences, la nature des larmes dépend du point de vue que l’on adopte… exactement comme dans ce beau tableau de Gustav Klimt dans lequel la lecture de droite à gauche nous conduit vers les larmes de la vieillesse et de la fin de vie et la lecture de gauche à droite nous fait regarder vers la vie, vers l’avenir… l’art nous offre ces leçons essentielles à la perception de notre existence et du temps. Le sage, lui, se placera au-dessus des deux lectures pour affirmer que les deux sont non seulement simultanées, mais surtout complémentaires. Mais quel que soit le sens dans lequel nous voyons la vie, l’amour reste l’essentiel… mais sommes-nous des sages ?

Gustav Klimt, Les Trois Âges de la femme (1905)

Dans ma position étrange de fils, de père et de grand-père, mes larmes vont dans tous les sens. Elles sont celles de la gratitude envers ma maman qui a fait avec beaucoup de bienveillance ce que je suis devenu… Mes larmes sont de fierté envers ma fille qui est devenue une femme et une maman extraordinaire, une belle personne. Elles sont, enfin, de joie envers la petite Louise qui sera le prolongement de notre existence à tous. On ne sait certes pas le monde qu’elle vivra, mais pour l’instant, nous ne nous soucions que de son bien-être. Dans tous les cas, ce sont des larmes d’amour !