Un jour… Un chef-d’œuvre (192)

Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années.

Pierre Corneille (1606-1684)

Thomas Gainsborough (1727-1788), Portrait de Johann Christian Bach, 1776 (détail).

Jean-Chrétien Bach (1735-1782), Sonate pour clavier Op. 17 n°2, II. Andante, interprétée par Alberto Nosè.

« Jean-Chrétien Bach, professeur de la reine, a pris le petit Mozart sur ses genoux et a joué quelques mesures, puis l’enfant a continué, et c’est ainsi que, jouant à tour de rôle, ils ont exécuté une sonate entière avec une précision merveilleuse. » NIssen évoquant le voyage à Londres en 1764-65

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Sonate pour piano n°10 K; 330, II. Andante cantabile interprétée par Daniel Barenboïm. (Sonate composée bien longtemps plus tard, en 1783… l’influence de J-C Bach est encore présente, mais transcendée).

Année 1765, la famille Mozart est à Londres…

« Je lui donnai intentionnellement le texte manuscrit (une partition écrite à cinq portées), afin de savoir quelle était son habileté dans le déchiffrable, car il n’était pas possible qu’il ait déjà connu la partition.

À peine eût-il mis la musique sur le pupitre qu’il attaqua le prélude comme un maître, fidèle à l’intention du compositeur tant dans la mesure que dans le style.

Je rapporte ce fait parce que bien des maîtres parmi les plus grands font quelques fois des fautes à une première lecture. Le prélude terminé, il prit la voix la plus haute laissant l’autre à son père.
Sa voix avait le timbre faible d’un enfant, mais il chantait d’une manière magistrale et inégalable. Son père, qui avait pris la voix grave dans le duo, détonna une ou deux fois dans sa partie, bien qu’elle ne fut pas plus difficile que la voix haute. L’enfant montra alors un peu de mécontentement, indiqua du doigt les fautes et remit son père sur la voie. […]

Il est bien connu que seuls les musiciens les meilleurs sont capables d’accompagner d’une façon aussi remarquable. […]

[…] Après cela, il joua encore un morceau très difficile qu’il venait de terminer un ou deux jours plus tôt. Son jeu était extraordinaire, car ses petits doigts étaient à peine en mesure de faire une quinte sur le clavier. 

Louis Carrogis de Carmontelle (1717-1806), Leopold, Wolfgang au clavecin et Maria Anna (dite Nannerl) Mozart en 1763.

Son étonnante habileté tenait autant du fait de sa connaissance parfaite des lois de la composition qu’au fait d’un grand exercice. Ainsi, par exemple, il était capable, si on lui donnait un chant, d’en écrire immédiatement la basse, et celle-ci s’évérait très correcte à l’essai. 

Il avait un sens très grand de la modulation, une grande maîtrise des doigtés, et passait d’un ton à un autre avec un extraordinaire naturel. Il pouvait jouer longtemps alors qu’un drap couvrait le clavier.

J’ai vu moi-même tout ce que je dis ci-dessus. J’ajouterai encore ceci: Deux ou trois musiciens m’ont raconté qu’un jour où le célèbre Jean-Chrétien Bach avait commencé une fugue et s’était brutalement interrompu, le petit Mozart l’avait reprise immédiatement et menée à sa conclusion d’une manière absolument magistrale.

Ayant été moi-même témoin de ces choses extraordinaires, je dois avouer que je ne pouvais me défendre d’un soupçon que le père n’avouait peut-être pas l’âge véritable de l’enfant. Pourtant son aspect était tout à fait celui d’un enfant, et tous ses actes étaient ceux d’un enfant de son âge. Par exemple, au moment où il préludait devant moi, un chat qu’il aimait bien arriva; il abandonna aussitôt le clavecin, il il fallut un bon moment avant qu’il n’y revienne. Quelques fois, à cheval sur un bâton, il caracolait à travers la chambre. […] « 

Daines Harrington, magistrat anglais, écrit en 1765 et cité par Jean et Brigitte Massin, Wolfgang Amadeus Mozart, Paris, Fayard, 1990, pp. 47-48.

 

Thomas Gainsborough (1727-1788), Portrait de Johann Christian Bach, 1776.