Chemin faisant… (II)

Pâques 2021… plus d’un an s’est écoulé depuis le premier confinement mais qu’on le veuille ou non, rien n’a encore vraiment changé si ce n’est l’existence d’un vaccin qu’on aimerait plus rapide quant à son administration à la population, le ras-le-bol de la population et la détresse accrue de tous ceux qui font les terribles frais des mesures sanitaires.

Photo prise hier (03/04/2021) dans mon jardin.

Si en ce dimanche très symbolique, la météo est moins riante que celle de Pâques 2020 qui tombait 15 jours plus tard que cette année, je ne résiste pas à vous faire part, à nouveau, de ce « Chemin faisant…  » dont je partage plus encore l’esprit aujourd’hui. Car assurément, ce satané virus a bien changé notre manière de voir le monde et s’il a pu quelques fois générer de belles choses, c’est, je l’espère, en nous rendant un peu plus humains… Avant de vous inviter à relire ce modeste texte, voici deux photos, l’une d’hier, l’autre d’aujourd’hui même, qui témoignent que la Nature est bien en marche! J’y ajoute, en fin de billet, le magnifique Chant sacré d’action de grâce d’un convalescent à la Divinité tiré du sublime 15ème Quatuor à cordes de L. van Beethoven, symbole que dans l’extrême douleur, les espoirs restent permis!  Bon dimanche à tous!

Photo prise ce matin de Pâques 2021 dans les Coteaux de la Citadelle à Liège.

Il planait, ce matin, dans la grande prairie qui surplombe les coteaux de la Citadelle à Liège, un parfum bien étrange, c’est, du moins, ainsi ce que je le percevais. Le ravissement de l’œil devant la sublime beauté de la nature contrastait de manière presque indécente avec la souffrance de tous ceux qui, quelques centaines de mètres plus loin, luttaient désespérément contre la maladie et les fléaux divers qui accablent l’être humain. Chaque dimanche, et sans doute machinalement plus encore depuis que le terrible virus frappe aveuglément nos semblables, mon regard ne peut s’empêcher de sonder l’hôpital, ce mastodonte de béton, qui est, toute l’année durant, le témoin impassible des souffrances et des morts. Dans son antre, une fourmilière inimaginable œuvre tous les jours contre les plaies qui dévastent nos corps et nos âmes. Souvent ému, reconnaissant et tranquillisé je passais autrefois mon chemin pour aborder les riantes prairies et observer les grands arbres, muni de mon modeste objectif, un simple téléphone portable !

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Mais aujourd’hui, ce soleil radieux, cette explosion formidable de vie, cette nature généreuse et colorée m’a d’abord rendu triste. Car ce dimanche est celui de Pâques. Au loin, la musique joyeuse des cloches des églises de Liège sonnait la résurrection du Christ. Et immédiatement l’idée que les églises étaient forcément vides en ce jour si important pour les croyants survint en moi. Je me surpris à sentir dans le coin de mon œil une minuscule goutte de rosée… une larme ! La question n’est pas celle d’une foi personnelle mise à mal par le confinement. Il y a belle lurette que je ne me considère plus comme croyant… encore faudrait-il, d’ailleurs,  déterminer en quoi cela consiste la foi… Croire en un Dieu ? Je ne le peux plus ! Croire en l’Homme ? Pourquoi pas ? Mais quel Homme… le monde nous montre tant et tant de misères et de médiocrités provoquées par ces hommes-là… ceux dont je fais partie ! Me revient la célèbre phrase d’Albert Camus « Il y a dans les hommes plus de choses à admirer qu’à mépriser.» (La Peste, 1947) J’aimerais le croire… croire ? Décidément ce mot me poursuit et m’envoie à la figure une autre citation, celle qu’Arrigo Boito lançait à partir de la question de la spiritualité de Giuseppe Verdi : « Comme nous tous, il avait perdu la foi, mais plus que d’autres, il en avait gardé le regret. » Superbe !

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J’avais dépassé depuis longtemps les abords de l’hôpital que me cachaient désormais les grands arbres quand, chemin faisant et toujours sous l’emprise d’une forte émotion, me vint l’idée saugrenue que les fenêtres qui m’avaient tant émues, imaginant le pire derrière leurs carreaux, les soins intensifs, les respirateurs, les pronostics sévères et les inimaginables  souffrances, étaient peut-être, tout compte fait, celles qui donnaient sur la maternité. Ce n’était alors pas la fin de la vie mais son début, son commencement… naître au printemps, en avril, le jour de Pâques, par une journée si prometteuse… et voilà que mon cœur d’artichaut me procurait soudain de nouvelles larmes… je ne peux m’empêcher d’avoir les larmes aux yeux à la vue d’un bébé !

21a. William Adolphe Bouguereau, Berceuse, (Le Coucher), 1873

William Bouguerau, La Berceuse.

De la direction de notre regard dépendent nos perceptions. Je l’ai dit par ailleurs et de manière répétée lors de mes cours et conférences. Je le maintiens plus que jamais ! Un même objet pourrait bien nous dire une chose et son contraire… y a-t-il alors une vérité ? Sans doute non, mais une piste d’explication pourrait résider dans l’abandon d’une pensée unique. Les choses ne sont pas souvent noires ou blanches. Ce n’est pas soit la maladie ou la mort, soit la naissance et la vie… ce sont les deux, ensemble, qui s’imposent comme la réalité immuable du monde. Quand certains meurent, d’autres naissent. C’est la nature ! Nature, ce mot si riche et si étrange ! La Nature n’a pas de dessein, elle est ! C’est notre regard qui lui attribue de la clémence ou de l’effroi.

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Nous trouvons tous ce printemps magnifique… ! N’est-ce pas parce que nous le regardons plus que d’habitude ? N’est-ce pas parce que nous voulons y trouver la consolation de nos angoisses actuelles ? Avons-nous toujours besoin de quelque chose d’extérieur pour rassurer notre âme tourmentée ? La sagesse serait de trouver en nous de quoi accepter notre existence, nos imperfections, nos raisons de vivre et l’abolition de notre peur de mourir ! Une forme d’immanence qui nous autoriserait à nous accepter sans complaisance et à accepter l’autre, à jeter sur lui un regard de bienveillance, non pas pour ce qu’il peut nous apporter, mais pour l’échange, le respect, la bienveillance, peut-être la résilience, en un mot l’humanité. Oui, le printemps est magnifique car j’arrive à le reconnaître, à sentir qu’en moi, il génère l’espoir. Ce n’est pas lui qui le veut, c’est moi qui, par mes émotions, mon ressenti et ma « spiritualité » tente de passer au-dessus de l’angoisse fondamentale, existentielle. Je ressens au seuil de la grande prairie ma proximité avec tous ceux qui ont mal, tous ceux qui pleurent et tous ceux qui rient…

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Le cheminement à travers les sentiers se présente toujours pour moi comme une révélation. Un sentier, c’est l’image du temps qui passe. Regarder où l’on va, c’est envisager et préparer le futur. Regardez devant vous et vous voyez l’avenir. Bientôt, vous passerez par l’endroit que vous apercevez déjà, mais jamais, vous ne savez ce qui viendra entraver ou non votre progression. Se retourner, c’est voir où on est passé et parfois… ce qu’on n’a pas vu au moment où nous passions. C’est l’expérience accumulée ! On ne remonte certes jamais dans le passé, on ne pourra jamais le changer ni le modifier, mais nous pouvons l’observer et y découvrir des causes, des origines et des conséquences. La culture et l’esprit critique, la saine curiosité, la remise en question, perpétuelle, génèrent l’homme responsable.

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Quand nous marchons, c’est le présent, c’est dimanche, c’est Pâques. À chaque pas, le présent grappille de l’avenir et le transforme en passé. C’est la loi de la vie, celle qui nous lie indissociablement au temps. La musique, art du temps par excellence, nous le révèle si bien… Albert Camus, dans l’Homme révolté (1951) affirme que la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent. Je crois que je peux y croire !

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Ce superbe arbre en fleur semble confiné et les montants du grillage dessinent une croix, symbole des souffrances et des douleurs dont finit par triompher le Christ le jour de Pâques dans la tradition chrétienne.

Sur le chemin des coteaux se trouvent aussi les marques de la vie et de la mort. Tel le grand arbre, pourtant si fort, foudroyé au hasard d’un orage violent, telles branches, membres arrachés par la tempête… En observant ce géant des bois déraciné, mort et en décomposition, comment ne pas éprouver de l’empathie ? Comment ne pas y voir la métaphore de la victime humaine d’un hasard effroyable ? Pourquoi cet arbre là ? Pourquoi cette femme, cet homme, cet enfant, ce vieillard-là ? Mauvais endroit ! Mauvais moment ! Rien d’autre ! C’est d’autant plus bouleversant. Mais tous ces gens innocents… pourquoi eux ? Personne n’est à l’abri ; aveuglément, mon épouse, ma fille, ma maman, mon frère, un ami,… moi ! Comme l’arbre qui ne s’y attendait pas !

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Mais toujours sur le chemin, quelque chose a déjà commencé, en effet ! La nature reverdit ! Elle renaît. La vie l’emporte sur la mort ! Et voilà que, tout près du gros arbre abattu, un autre présentait ses bourgeons. Oh ! Ils témoignent de la vie qui a déjà pris le dessus. Ce matin, le printemps triomphe !

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Il y aura encore des orages et des tempêtes. Certains arbres seront encore abattus, foudroyés, déracinés, mais toujours la vie sera plus forte. Pour moi qui ne crois pas en un dieu, je trouve qu’il y a là de quoi nourrir l’idée de la résurrection qui, contre vents et marées, justement en ce jour de Pâques où l’on fête celle du Christ, offre à tous, croyants ou non, un magnifique symbole de renouveau et avec lui, un espoir magnifique ! Comme j’aimerais y croire… ! Prenez bien soin de vous tous !

Ludwig van Beethoven (1770-1827), Quatuor à cordes n°15 en la mineur Op. 132, III. « Heiliger Dankgesang eines Genesenen an die Gottheit in der lydischen Tonart » (Chant sacré d’action de grâce d’un convalescent à la Divinité dans le mode lydien), interprété par le Quatuor Alban Berg.