Musiques mécaniques…

Je n’avais jamais été à Utrecht aux Pays-Bas. La quatrième et très belle ville du pays, riche de ses canaux, de son architecture et de son histoire, n’est pourtant éloignée de Liège que d’un peu plus de 200 kilomètres. Dans mon esprit son nom était lié au Te Deum que Georg Friedrich Haendel avait écrit en 1713 pour les festivités célébrant la paix signée par le Traité d’Utrecht marquant la fin de la Guerre de Succession d’Espagne. L’œuvre du maître très fournie orchestralement et vocalement avait été créée à la Cathédrale Saint-Paul de Londres la même année. Mais la visite d’Utrecht allait se révéler une grande découverte, tant par la beauté des lieux que par les découvertes surprenantes qui s’y cachent.

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Ce n’est pas de musique baroque dont je veux vous parler aujourd’hui, mais de la visite d’un musée vraiment original consacré aux instruments de musique mécaniques et aux automates musicaux… une véritable merveille. En effet, le Musée Speelklok contient de très précieux trésors, tous témoins du génie de l’Homme. Cette multitude d’instruments est à admirer et à écouter sans modération. Et il y a de tout !

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Si le mélomane boude parfois les musiques produites mécaniquement comme un genre mineur pour les bals, les foires et les fêtes foraines, il oublie parfois que les premiers documents que nous possédons de grands compositeurs jouant leurs œuvres sont le résultat des systèmes ingénieux de reproductions sonores par rouleaux de cires et de cartes perforées, jouées par un instrument muni d’un mécanisme spécifique. Voici, en quelques paragraphes bien utiles adaptés et inspirés du texte de Françoise Dussour, un résumé de la petite histoire de ces étranges instruments fonctionnant tous seuls… ou presque !

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Phonoliszt Violina, orchestrion, Leipzig, 1910.

« Venez admirer la huitième merveille du monde! » C’est par ce slogan que cet instrument étrange fut accueilli à l’exposition universelle de 1910 à Bruxelles.

Depuis la nuit des temps l’homme a essayé de reproduire des sons harmonieux, par le chant, puis par les instruments de musique. Mais en plus de cela, il a voulu pouvoir jouir de cette musique en créant des instruments qui jouaient tous seuls. Les instruments de musique mécanique étaient nés. Ce fut d’abord la harpe éolienne, avec ses cordes tendues, vibrant harmonieusement au gré du vent ou celle plus élaborée décrite par Athanasius Kircher (1601-1680).

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Horloge à musique du 15ème siècle.

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Dans l’Antiquité, la Grèce, l’Egypte et le Proche-Orient nous ont laissé des documents intéressants concernant les plans d’instruments de musique mécanique, principalement des orgues à eau avec automates, comme ceux décrits par Apollonius (vers 200 ans ACN), Philon de Byzance (300 ACN) ou Héron d’Alexandrie (1er siècle PCN). A Byzance furent construits de nombreux automates oiseaux siffleurs. Mais ce furent les arabes qui, ayant appris les enseignements d’Archimède au contact des grecs, employèrent le système du cylindre pointé comme porteur d’informations musicales. Les premiers véritables instruments de musique mécanique virent le jour à la Cour du Calife de Bagdad (9ème siècle PCN).

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Horloge musicale avec chants d’oiseaux

Au 13ème siècle, les navigateurs hollandais rapportèrent de Chine les premiers carillons, jeu de timbres actionnés par un cylindre pointé. Le plus ancien construit en Europe fut le carillon de la cathédrale de Strasbourg (1352-1354). Le plus ancien orgue à cylindre encore existant aujourd’hui vit le jour en 1502, c’est le Hornwerk de Hohensalzburg, appelé aussi « Le taureau de Salzbourg« . Le moine allemand Athanasius Kircher publia en 1650 un ouvrage montrant un orgue d’église actionné à l’aide d’un cylindre pointé. A la même époque, les cours européennes découvrent les automates. En Allemagne, Augsbourg abrita de très célèbres fabricants comme Bidermann (1540-1624). En France, Vaucanson (1709-1772), en Suisse Jacquet-Droz (1721-1780) et son fils font des merveilles avec leurs androïdes.

De grands musiciens comme Haendel, Haydn, Mozart et Beethoven n’hésitèrent pas à composer pour des orgues mécaniques installés dans des pendules ou des meubles précieux. La Fantaisie en fa mineur pour orgue mécanique K.608 en témoigne remarquablement.

Au début du 18ème siècle, à Mirecourt en Lorraine, ville très connue pour sa lutherie avec Jean-Baptiste Vuillaume, entre autres, naissent des orgues à cylindre miniatures destinés à entraîner les Serins de Canaries, importés à la Cour de Lorraine, à chanter des petites mélodies connues (la Serinette) et on y développa par la suite une remarquable production d’orgues à cylindre pour les salons et les églises, ainsi que des orgues aujourd’hui très rares appelés Concerts-Militaires. A Paris, Davrainville père et fils se distinguèrent par leurs instruments d’une remarquable sonorité. Puis l’orgue à manivelle, dont les mélodies étaient toujours notées sur un cylindre pointé, trouva son usage dans la rue avec les invalides de toutes sortes, les colporteurs et le savoyards.

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En 1846 Alexandre Debain fit breveter un système de lecture pour piano avec des planchettes à picots l’Antiphonel. Mais les planchettes comme le cylindre avaient le défaut d’être très limités dans la durée de la mélodie. Il faut aussi mentionner l’invention de la Boite à Musique en 1796 (peigne de lamelles métalliques mises en vibration par les picots d’un cylindre) par Antoine favre (1734-1820) à Genève. En 1866 Paul Lochmann à Leipzig eut l’idée géniale de remplacer le cylindre pointé par un disque métallique à picots.

Le 19ème siècle est riche en progrès techniques. Avec l’invention de l’anche, la variété des instruments devient extraordinaire. On fabrique des organettes moins coûteuses que les instruments à tuyaux. Les nouveaux supports (cartons, papiers et métaux perforés) permettent d’étendre le répertoire. Les bandes de cartons perforés (en accordéon) seront directement inspirées par les métiers à tisser Jacquard. L’apparition d’autres technologies comme les procédés pneumatiques et le moteur électrique va donner un nouvel essor à la musique mécanique et va permettre la construction de pianos pneumatiques et orchestrions automatiques en tout genre.

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L’invention du disque développa une intense production de toutes sortes d’instruments de musique mécanique destinés à la musique de salon : Boites à musique à disques nommés  Polyphon, Symphonion, Regina, Kalliope, Célestina ou les Organettes à disques de carton perforé comme Ariston, Hérophon, Amorette,…

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Le 19ème siècle fut sans conteste l’Age d’Or des instruments de musique mécanique, avec un foisonnement d’inventions, tant sur le plan technique que sur le plan des systèmes de lecture (le carton perforé et les rouleaux de papier perforé), pour arriver à automatiser quasiment tous les instruments de musique : les pianos automatiques, les Orchestrions de toutes sortes : Phonoliszt-Violina, pianos reproducteurs… Ces instruments fonctionnant avec un système de lecture pneumatique (pression ou le plus souvent dépression d’air crée par le passage des perforations du rouleau de papier), correspondaient tout à fait au style de cette époque, qui ne connaissait pas encore le gramophone, mais qui avait une soif de musique qui atteignait toutes les classes sociales.

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Pianola à pédales « Grandiola », Dresde, 1925

En même temps les fêtes foraines se développaient et les orgues, d’abord à cylindre, puis à cartons perforés sonorisaient toutes les attractions foraines des chevaux de Bois aux bioscopes (ancêtre du cinéma).

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Les plus grands noms sont encore présents dans les mémoires, comme Limonaire, Gavioli, Gasparini, Maringhi, Decap Bursens… Cependant, avec l’invention et la démocratisation du phonographe, et surtout la possibilité de reproduction de la voix humaine, les instruments de musique mécanique n’étaient plus concurrentiels et leur déclin inéluctable.

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Gigantesque instrument pour salle de bal.

Il n’empêche, l’émerveillement est au rendez-vous dans le musée d’Utrecht. Ces véritables bijoux d’inventivité et d’ingéniosité produisent des sons étonnants avec des cloches, des tuyaux d’orgue, des tambours, des violons, des cordes frappées de piano sans le concours d’un interprète au sens habituel du terme. J’ai été littéralement émerveillé, comme un enfant peut l’être, les yeux écarquillés et les oreilles grandes ouvertes, par ces ressorts et ces poids en chute qui génèrent l’énergie suffisante pour que les instruments se mettent à jouer comme par magie !

La multiplicité des créations est très impressionnante. Des horloges sophistiquées et raffinées, sortent des sons angéliques. Les orgues de barbarie rivalisent pour donner son et spectacle visuel. Boîtes à musique en tous genres, gigantesques orgues de salles de danses, limonaires démesurés et rouleaux de grands maîtres à placer sur un piano, ces magnifiques instruments de musique sont les témoins d’un temps qui ne proposait pas la possibilité d’écouter la musique toujours et partout.

Depuis le 15ème siècle, pourtant, les facteurs et luthiers ont cherché à rendre possible une musique en direct sans présence d’un musicien en chair et en os. Ils témoignent, en tous cas, et ce n’est pas la moindre leçon de la visite, que l’être humain a toujours désiré être entouré de musique… qu’il la pratique ou non !

À découvrir absolument !