Lorsque Claude Debussy (1862-1918) met la dernière main aux vingt-quatre préludes pour piano en avril 1913, il a probablement conscience d’avoir surpassé toutes ses œuvres antérieures pour clavier.
Le prélude trouvait son origine dans les brèves pièces pour clavier ou pour luth qui servaient à non seulement vérifier l’accord de l’instrument mais aussi à « s’échauffer » avant d’aborder un morceau plus conséquent. Sans forme précise d’abord, il s’organise d’abord en une forme double, sorte de toccata précédant une fugue ou un fugato, et ouvre les suites de danses et les partitas du XVIIIème siècle. Bach élargit sa forme en lui donnant l’honneur de représenter le premier volet des diptyques de son « Clavier bien tempéré ». Par la même occasion, il renforce les liens thématiques et harmoniques de l’ensemble. Le prélude est désormais indissociable de la fugue, mais sa dénomination d’origine n’est déjà plus adaptée. Il faut, en effet être bien échauffé pour entamer les préludes de Bach.
Si le romantisme boude le prélude, c’est sans doute parce que la fugue s’intègre désormais à la grande sonate et n’existe plus, sauf exceptions (Mendelssohn), comme une forme autonome. Quand Chopin écrit ses célèbres préludes, ils ne préludent plus à rien mais sont des formes autonomes dont le seul point commun est la brièveté et la liberté de composition. Ce sont autant de miniatures poétiques générant une diversité d’émotions. Chopin les composa à Majorque entre 1835 et 1839. George Sand illustrera le quatrième prélude par l’évocation de larmes au fond d’un cloître humide.
C’est pour rendre hommage à Chopin que Debussy nomme ses 24 pièces de la sorte. Sans recherche d’unité, chaque prélude se suffit à lui-même. Ils doivent être perçus comme une invitation au voyage imaginaire et non comme une peinture. Je reparlerai plus tard de l’incapacité de la musique à entrer dans le courant pictural nommé impressionnisme. Debussy déclarait d’ailleurs, à propos de ses trois estampes pour piano en 1903 : « Quand on n’a pas les moyens de se payer des voyages, il faut suppléer par l’imagination »….et pour que celle-ci soit vraiment efficace, il ne note les titres des préludes qu’à la fin de la partition, entre parenthèses et après des points de suspension.
Jamais le piano n’a sonné avec autant de mystère. Chaque pièce est d’une rare audace rythmique, harmonique et mélodique. La modernité de la musique de Claude Debussy réside dans l’art du temps musical et de la désincarnation mélodique au profit d’une harmonie faite de mille couleurs. Les préludes sont un vrai festival sonore. Le pianiste polonais nous dévoile, une fois de plus, tous ces climats de sensualité et d’intemporalité.