Léonard Bernstein était vraiment un grand personnage. Nous connaissons tous son génial « Roméo et Juliette » moderne qu’est « West Side Story ». Il était en effet un très grand compositeur que l’on connaît trop peu. J’y reviendrai. A la tête d’un orchestre, l’homme était toujours passionnant. Ses excès, sa sensibilité profonde et sa personnalité hors du commun en ont fait l’un des plus grands chefs du XXème siècle. Pianiste fascinant, écoutez la « Rhapsody in Blue » de George Gershwin qu’il dirige du piano, il était doué d’un art du toucher formidable, d’un sens incroyable du rythme et d’une virtuosité généreuse. Américain et amateur de jazz, il possédait cet art du swing si rare chez les musiciens classiques. Comment ne pas vibrer à l’écoute de ses symphonies de Mahler, de Schumann ou de Sibelius? C’est tout bonnement extraordinaire. Il s’identifiait aux compositeurs comme peu de musiciens ont pu le faire.
Mais le grand Léonard était aussi un grand pédagogue. Je ne parle pas ici des concerts commentés extraordinaires qu’il donnait avec le Philharmonique de New York dans les années 1960. Ces séances exceptionnelles sont uniques en leur genre et insurpassables. Ce que je veux évoquer ici, ce sont les fameuses « Conférences Norton » qu’il donna à Harvard au début des années septante.
Sous le titre générique inspiré par l’oeuvre homonyme de Charles Ives dont je vous reparlerai cette semaine : « The unaswered Question » (La question sans réponse), Bernstein propose six exposés qui envisagent l’état de la musique au XXème siècle. Son but n’est pas de faire un bilan, mais de montrer l’évolution macroscopique de la musique au cours du temps. Cet ouvrage m’a, une fois de plus accompagné tout au long de ce long week-end férié.
Sa vision s’inspire de la linguistique américaine moderne représentée par Noam Chomsky. Il décompose la musique en trois paramètres essentiels. La mélodie d’abord qu’il compare au nom dans notre langage articulé, l’harmonie ensuite qui teinte le nom d’une couleur donc d’un adjectif qualificatif et enfin, le déroulement temporel (tempi, rythmes,…) qui est l’action (verbe) de la musique. Il parvient à montrer de manière efficace qu’un Leitmotiv, chez Wagner en est la plus parfaite illustration. Une brève mélodie désigne un personnage et en fonction de l’harmonie qui l’accompagne, la mélodie prend une allure triomphale ou dépressive tandis que le rythme lui donne sa dynamique temporelle. On pourrait de la sorte traduire la fin de la Walkyrie par: « Déprimé, Wotan erre! »
La musique n’est pas un langage articulé et ce principe ne s’applique pas heureusement à tous les compositeurs. Bernstein n’est pas dupe, mais la musique est tout de même un moyen d’expression relativement proche du langage qui comporte ses structures, sa grammaire et son vocabulaire. Que dire de la rhétorique musicale baroque et des musiques à contenu (poèmes symphoniques, opéras, mélodies, …)?
Certains ouvrages constituent les livres de chevet des mélomanes qui veulent comprendre les structures musicales de l’intérieur. Celui-ci en est assurément un auquel je reviens très souvent car l’histoire de la musique nous montre l’évolution de ce langage particulier et nous donne quelques clés pour pénétrer plus avant dans les techniques qu’utilisent les compositeurs pour nous toucher au plus profond de nous-mêmes. Bernstein l’éclaire merveilleusement en six leçons (non disponibles dans le commerce!!!). Oû va la musique? Déjà Ives se posait cette question. Pas de réponse évidemment, mais des orientations qui se sont avérées exactes. Peut-on prévoir l’avenir? Sans doute non! Il est bien connu, cependant, que c’est le passé qui nous informe sur le devenir…