Schumann avait écrit son concerto pour violon à Düsseldorf entre le 11 septembre et le 3 octobre de l’année 1853. Il avait déjà composé une Fantaisie pour violon et orchestre (op.131) destinée à ce jeune violoniste Joseph Joachim qu’il avait entendu au Conservatoire de Leipzig fondé par son ami Mendelssohn. Le jeune homme lui avait alors demandé une oeuvre de grande envergure et le compositeur avait obtempéré de bon coeur. Il était donc tout à fait naturel que Schumann ressente que l’esprit de Mendelssohn soufflait sur lui dans le cadre de cette entreprise. Dans une lettre datée du 13 octobre, il écrivit à Joachim: « Voici le concerto. Puisse-t-il vous plaire. Il me paraît plus aisé que la Fantaisie; l’orchestre intervient également davantage. Je serais heureux si nous pouvions l’entendre ici lors du premier concert ». Mais on le sait, le concerto ne fut joué ni à Düsseldorf ni ailleurs.
Le final fut composé en trois jours. C’est à cette époque exacte (le 1er octobre) également que le jeune Brahms rencontra Schumann pour la première fois. Une amitié célèbre et sincère allait naître de cette rencontre.
De forme traditionnelle beethovenienne, , le concerto est en trois mouvements dont les deux derniers sont enchainés. Formant ainsi deux blocs de presque un quart d’heure chacun réunis par un thème principal et cyclique. Le premier mouvement débute de manière tragique dans la tonalité de ré mineur, celle des requiems, celle du Don Giovanni de Mozart également. L’ambiance de la Troisième Symphonie « Rhénane » et le poids du destin tellement cher au compositeur ne sont pas loin. La seconde idée, plus élégiaque introduit brièvement un peu de calme. C’est elle qui esquisse pour la première fois le thème générateur et cyclique. L’entrée du violon se fait avec la véhémence du désespoir. Il évolue d’abord à la manière d’une sonate de Bach, rappelant la musique baroque. Langage chargé d’une angoisse extrême, on peut découvrir dans le déroulement du mouvement les tournures typiques de Schumann. Le monde du lied n’est pas loin. De nombreuses allusions en témoignent tout le long du flux musical incessant. Je n’emploie pas le mot « flux » par hasard. Quand on connait l’attrait pour le fleuve, pour le « Vater Rhein » si souvent évoqué dans l’oeuvre de Schumann, on comprend que le courant de l’eau représente pour lui aussi bien la fuite d’une réalité insupportable que le but du romantique allemand, se fondre avec la Nature dont le père suprême est le Rhin. Le geste désespéré de la tentative de suicide en sautant dans le fleuve du pont de Düsseldorf en témoigne. C’est toute cette détresse là que la musique transmet.
Le mouvement lent central, dans la tonalité de si bémol majeur est beaucoup plus serein. Il déploie toute la magie romantique de ses mélodies et de ses rythmes superposés (polyrythmie). On y ressent toute la ferveur de la prière. Le chant du violon accompagné d’un superbe contrepoint des altos et des violoncelles est d’une profonde expressivité.
Comment, dans les méandres de ce chant, dans cette mélodie qui divague en cherchant des points d’appuis, en répétant inlassablement les mêmes formules (les fameux signes de la maladie!) ne pas se laisser submerger par les larmes et comprendre, un tant soit peu, les douleurs et les prières de cet homme? C’est le thème cyclique, chaque fois varié. Toute la forme tripartite (A-B-A) est générée par ce thème unique. Profondément assombri dans sa reprise en sol mineur, il s’anime quelque peu et s’enfonce dans le final retrouvant par là même la tonalité de ré mineur.
Vif, mais pas rapide (Lebhaft, doch nicht schnell). Voilà bien le tempo préconisé par Schumann pour le final et que de nombreux violonistes ont accéléré outrancièrement pour mettre en valeur leur virtuosité. Le motif générateur se présente cette fois sur un rythme de polonaise.
Il s’intègre à une phrase de grande ampleur qui servira de refrain à la forme rondo. Après le tutti orchestral il est suivi de deux thèmes secondaires. Le premier a l’air d’une petite marche sautillante jouée par les bois, le second, plus mélodieux, est confié au violon solo. Le mouvement comporte les « longueurs » typiques que les commentateurs reprochent toujours à Schumann. Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette musique, certes un peu maniaque dans ses répétitions, reflète l’état d’esprit de celui qui, conscient de son état, vit encore malgré tout.
« Demain, il sera trop tard » note Brigitte François-Sappey dans son indispensable ouvrage sur Schumann (Fayard). Elle a raison. L’homme qui compose encore, celui qui livre ici, comme dans les Chants de l’Aube pour piano, ses dernières perception de l’homme face au monde impitoyable n’est pas un héros. Schumann ne travaillait pas pour la postérité. Il œuvrait avec la nécessité de transmettre tout son être, de faire comprendre à ses semblables ce qu’il était, ce qu’il aimait, ce qui lui faisait peur également. C’est en ce sens que sa musique reste une leçon de vie pour tout qui veut bien l’écouter. Le poème nocturne d’Hölderlin qu’André Boucourechliev inscrit à la dernière page de son livre sur Schumann (Seuil, collection Solfèges, p. 170) est on ne peut plus approprié aux dernières œuvres:
« Que l’on me tende,
Pleine de sombre lumière,
La coupe parfumée pour que j’aie le repos
Car le sommeil serait doux sous les ombres
Dépossédé de son âme
Il est vain de n’être plus que pensées mortelles »
bonsoir
j’aime beaucoup votre site comme je suis fane de la musique classique, bonne continuation.
cordialement sadjia d’Algerie
Voilà une découverte bien surprenante et combien agréable.
On se demande bien quels motifs ont motivé Clara à ne pas faire connaître cette partition.
Il paraît que les vacances, c’est pour se déconnecter. Pour notre bonheur, il semble que c’est, pour vous, chose difficile. Bonnes vacances quand même!!!!