Alors que les répétitions de la septième symphonie de Mahler battent leur plein à la Salle Philharmonique de Liège, il n’est pas inutile de consacrer un petit billet à l’instrument étrange qui figure en bonne place des solistes du premier mouvement de ce monstre symphonique. Le premier mouvement n’est d’ailleurs pas seule curiosité de l’oeuvre puisque sa seconde Nachtmusik (sérénade, musique nocturne) utilise les rare guitare et mandoline associées aux deux harpes pour ponctuer cet étrange mouvement sur lequel je reviendrai plus tard.
La symphonie débute effectivement par un solo de tenorhorn, instrument rare au sein des formartions symphoniques. Cet instrument n’est, malgré son nom, pas un cor et sa sonorité rappelle plutôt les trombones et les tubas. Ce sera d’ailleurs, selon les informations dont je dispose, le premier trombone de l’Orchestre philharmonique de Liège qui assurera ces solos éprovants et émouvants. Instrument man nommé, il fait partie de ces innombrables cuivres qui doivent leur existence à notre facteur et inventeur national Adolphe Sax, qui bien au-delà de l’invention du saxophone, a aussi contribué à renforcer les effectifs militaires par des instruments aussi curieux que variés. Ainsi, le tenorhorn dont parle Mahler est un saxhorn baryton. Gros plan sur cette famille méconnue.
Début du solo au début de la symphonie
Les saxhorns constituent une sous-famille d’instruments de musique, de la famille des cuivres à perce conique. C’est en quelque sorte la déclinaison d’Adolphe Sax des tubas.
L’instrumentiste jouant du saxhorn est appelé saxhorniste. Les saxhorns forment une famille de sept instruments, dont les deux plus aigus sont appelés bugles, et les cinq autres saxhorns. Ils sont accordés en descendant, par quartes et quintes dans l’ordre suivant.
Saxhorn sopranino ou petit bugle en mi bémol
Saxhorn soprano ou bugle, en si bémol
Saxhorn alto, en mi bémol
Saxhorn baryton (appelé parfois ténor), en si bémol (c’est celui qui nous intéresse dans le cas de la symphonie de Mahler).
Tessiture
Saxhorn basse, construit au même diapason que le baryton, mais avec un tuyau plus large
Saxhorn contrebasse en mi bémol, ou bombardon
Saxhorn contrebasse en si bémol, ou contrebasse à vent
Un Saxhorn basse en ut à six pistons, aussi appelé tuba français a été très répandu dans les orchestres symphoniques et lyriques français pendant la première moitié du XXème siècle. Il est tombé en désuétude, progressivement substitué par les tubas basse de facture allemande.
Comme pour tous les cuivres, le son, qui peut être abaissée par l’activation des pistons, est produit par la vibration des lèvres au niveau de l’embouchure produisant diverses harmoniques d’une fondamentale. Les doigtés sont ceux que l’on retrouve à la trompette
Adolphe Sax part de ces deux ancêtres pour créer la famille des saxhorns. Il conduit ses recherches au niveau acoustique et démontre que le timbre est déterminé, non pas par la nature du matériau, mais par les proportions données à la « colonne d’air ». En 1843, il présente un brevet pour son « nouveau système chromatique ».
Le mot « saxhorn » apparaît pour la première fois en 1844 dans la bouche d’artistes musiciens qui venaient de découvrir un bugle, auquel Sax avait apporté une modification — une coulisse mobile à ressort permettant d’exécuter des sons glissés, et supprimant les courbes et angles trop heurtés dans les tons de rechange. Toujours en 1844, pendant l’exposition des produits de l’industrie française à Paris, Sax présente pour la première fois des saxhorns, qu’il appelle toujours « bugles ». Ce n’est qu’en 1845 qu’Adolphe Sax utilise le nom de « saxhorn », dans le but de regrouper ces instruments en une famille homogène. Chaque instrument utilise les mêmes doigtés pour toute l’étendue de la famille.
Les saxhorns adoptent une forme verticale, plus pratique pour les musiciens de la cavalerie qui maintiennent leur instrument avec le bras gauche contre le corps. Dès lors, Sax ne cesse de les perfectionner. En 1851, à l’Exposition Universelle de Londres, au Crystal Palace — du 1er mai au 11 octobre —, Sax présente onze saxhorns. Certains ont trois pistons, d’autres quatre ou encore cinq. Il y présente également un « saxhorn à quatre cylindres et compensateur », mais aussi trois saxhorns, alto, contralto et soprano à quatre cylindres (source Wikipedia).
Caricature de Mahler dirigeant sa première symphonie en 1900
Les commentateurs sont d’accords pour affirmer non pas le goût de Mahler pour les musiques militaires, mais pour les sons qu’il entendit depuis sa plus tendre enfance. Il vivait en effet non loin d’une caserne et les cuivres seront souvent utilisés dans un esprit de lutte ou d’accablement face à un inéluctable destin. Chaque instrument utilisé par Mahler n’est pas le résultat d’un besoin de gigantisme sonore, mais résulte d’une recherche toujours plus approfondie sur les timbres et les affects qui y sont liés. Écouter Mahler, c’est reconnaître l’identité de chaque intervenant et sa capacité à nous émouvoir d’une manière ou d’une autre. Une grande part de la riche orchestration du compositeur possède ce seul but: cerner exactement l’émotion qu’il faut transmettre… Aux chefs d’orchestre et aux musiciens de les respecter, … à chaque auditeur de les reconnaitre!