La Radio belge francophone de musique classique, Musiq3, fête ses cinquante ans cette année. L’occasion pour celle qui est désormais une grande dame, de nombreuses manifestations musicales et culturelles très variées à l’image de sa volonté d’ouverture sur le monde. Celle qu’on nommait il y a encore quelques années la Troisième chaîne radio a décidé de clore ces festivités par une grande enquête auprès de ses auditeurs et des lecteurs du journal Le Soir. Il s’agissait de déterminer les cinquante œuvres (ou morceaux d’œuvre) les plus populaires chez les mélomanes.
Et finalement, au regard des résultats, pas de grande surprise… mais d’absolues confirmations. Schubert, qui a mis du temps à se hisser parmi les compositeurs les plus appréciés passe en tête avec son second trio, emblématique des dernières œuvres du maître et très utilisé dans le cinéma. Mozart ne dément pas son succès continu avec le fameux « Elvira Madigan » si apprécié. Bach au violoncelle, Pergolèse et son très émouvant Stabat Mater, la Neuvième de Beethoven… voici le classement complet de l’enquête.
1 SCHUBERT Trio n°2 pour piano, violon & violoncelle
2 MOZART Concerto pour piano n°21
3 BACH Suite n°1 pour violoncelle BWV1007
4 PERGOLESE Stabat Mater
5 BEETHOVEN Symphonie n°9 en ré mineur
6 BACH Passion selon Saint Jean
7 TCHAIKOVSKY Concerto pour violon
8 RACHMANINOV Concerto pour piano n°2
9 FAURE Requiem: Pie Jesu Domine
10 MAHLER Symphonie n°5: Adagietto
11 HAENDEL Le Messie: Alleluia
12 BRAHMS Concerto pour violon: Final
13 VIVALDI Les Quatres Saisons
14 MOZART La Flûte enchantée: Air de la Reine de la Nuit
15 BARBER Adagio pour cordes
16 DVORAK Symphonie du Nouveau Monde: Largo
17 CHOSTAKOVITCH Suite de jazz n°2: Valse
18 SATIE Trois Gymnopédies
19 BACH Toccata et Fugue en ré mineur BWV565
20 CHOPIN Concerto pour piano n°1: Romance
21 MENDELSSOHN Concerto pour violon en mi mineur
22 BEETHOVEN Symphonie n°5 en do mineur
23 RAVEL Boléro
24 MOZART Quintette pour clarinette et cordes
25 FRANCK Sonate pour violon
26 CHOPIN Polonaise n°6 « Héroïque »
27 GERSHWIN Rhapsody in Blue
28 TCHAIKOVSKY Concerto pour piano n°1
29 STRAVINSKY Le Sacre du printemps
30 VERDI Nabucco: Choeur des esclaves
31 BELLINI Norma: Casta Diva
32 PROKOFIEV Roméo et Juliette
33 BRAHMS Symphonie n°3
34 GRIEG Peer Gynt: Chanson de Solveig
35 RODRIGO Concerto d’Aranjuez
36 ORFF Carmina Burana
37 WAGNER La Chevauchée des Walkyries
38 HAYDN Concerto pour violoncelle n°2
39 BERLIOZ Symphonie fantastique
40 DELIBES Lakmé: Duo des fleurs
41 SAINT-SAËNS Introduction et Rondo capriccioso
42 SMETANA Ma Patrie: La Moldau
43 LISZT Les Préludes
44 BRAHMS Quatuor pour piano et cordes n°1
45 BIZET Carmen: L’amour est un oiseau rebelle
46 DUKAS L’apprenti sorcier
47 RIMSKY KORSAKOV Shéhérazade
48 ROSSINI Guillaume Tell: Ouverture
49 BORODINE Prince Igor: Danses Polovtsiennes
50 MENDELSSOHN Symphonie n°4 « Italienne »
Et pour que chacun puisse se retrouver dans le choix des auditeurs, en collaboration avec EMI, Musiq’3 édite une compilation de 6 CD reprenant les mouvements les plus célèbres de ce Top 50. Dans les bacs depuis quelques jours au prix très démocratique de 21,90 euros (prix Fnac), ce box est un cadeau de fin d’année idéal qui fera le bonheur de tous, permettra, j’en suis sûr, à de nouveau mélomanes de vibrer à la musique classique et clôturera en beauté les festivités des 50 ans de l’héritière du Troisième Programme!
Le plaisir de cette publication qui obéit à un vrai désir du public me fait chaud au cœur… mais suscite en moi quelques réflexions également. Car ce sont bien là les œuvres les plus populaires qui sont reprises et la plupart des mélomanes connaissent « sur le bout des doigts » toutes ces œuvres… qu’on peut fredonner rien qu’en en lisant le titre… sur le bout des doigts ? Pas si sûr, car parfois seule une mélodie peut séduire… mais, isolée de son contexte, elle peut être mal comprise. C’est comme lorsqu’on retire un paragraphe d’un ouvrage littéraire… on n’est pas sûr de bien comprendre le sens profond de l’ouvrage entier… Et il en est ainsi des airs d’opéras comme Casta Diva qui, superbe illustration de l’âge d’or du bel canto italien, a besoin de s’intégrer à Norma, l’opéra complet. Même remarque pour la fameuse chevauchée de la Walkyrie, pour un extrait de Carmen, ou encore pour le célèbre chœur des esclaves de Nabucco… Et il est fort probable que ce soit pareil avec les œuvres purement instrumentales. On comprend que ce qui a le plus plu dans le trio de Schubert, c’est le mouvement lent avec son superbe solo de violoncelle, chez Mozart, c’est l’éthéré Andante… connaît-on aussi bien le final du concerto… ? Ce hit témoigne de la popularité de certains morceaux, pas vraiment des œuvres. Mais c’est bien là le principe de base d’un tel sondage, de chercher à situer le goût des auditeurs.
De plus, il est saisissant d’observer également que le grand public ne plébiscite pas la musique classique contemporaine. Car les œuvres les plus récentes datent de la première moitié du XXème siècle et ont presque cent ans ! Le Sacre du Printemps, le Boléro, la Valse 2 de la Suite de Jazz de Chostakovitch ou Roméo et Juliette de Prokofiev n’appartiennent plus à la musique dite contemporain. Est-ce là encore le signe d’une cassure entre l’art contemporain et ce qui devrait être son public ? Quelles en sont les causes ? Pourquoi notre société ne s’intéresse-t-elle pas vraiment (au sens large en tous cas) aux expressions musicales actuelles ? Les plus optimistes diront que l’histoire fera le tri, que, après tout, Beethoven n’a pas toujours été apprécié en son temps non plus…
Rien de très ancien non plus… ! Pas de Monteverdi, pas de grande polyphonie vocale ancienne, pas de chant liturgique (chant grégorien, …), très peu de baroques si ce n’est Bach, Vivaldi et Haendel dont seul l’extrait le plus célèbre du Messie parvient à se hisser dans le classement. Tout cela est finalement très classique. Le répertoire romantique se taille la part royale et supplante toutes les autres catégories historiques. C’est la preuve que notre culture est encore bien ancrée dans l’esprit du romantisme.
Mais comme toute étude doit tirer les leçons de ses résultats, il me plait de dire que c’est là une excellente raison pour continuer inlassablement à faire découvrir les choses dans leur variété, leur diversité et leur profondeur. Que la musique nous touche tous, c’est une évidence. Mais tout reste à faire dans la manière de faire approcher le grand public de toutes les musiques. C’est à ce rôle là que s’emploient les institutions culturelles (J-L Piron disait tout son enthousiasme, il y a quelques jours sur ce blog, pour la manière dont l’OPRL contribue à l’accomplissement de cette mission), c’est à ce même rôle, plus modestement certes, que j’emploie le plus clair de mon temps à travers mes activités à la Fnac, mes cours, mes conférences et mon blog. Car la musique et les arts, c’est la vie et nous devons œuvrer pour que cet inestimable patrimoine soit accessible dans toute sa force au plus grand nombre. Une société sans art ou avec un art « digest » (je reviendrai bientôt sur ce que j’entends par cette notion) est une société qui se meurt, qui perd ses valeurs, son authenticité, sa diversité et donc sa tolérance et sa capacité d’empathie… La musique n’est pas un simple bien de consommation, c’est un PATRIMOINE dont la rentabilité n’est pas le seul but !
Les grands maudits du Top 50: Debussy, Schumann, Bruckner…Sans doute trois compositeurs très médiocres qui n’ont vraiment rien apporté à la musique;-)