Parmi les compositeurs que l’on commémore cette année, on a souvent oublié Jacques Ibert (1890-1962) disparu il y a tout juste un demi siècle. Et s’il était au programme du concert de l’ensemble Kheops à Flagey hier après-midi, ce n’était que justice… L’occasion également de retrouver et de réécouter quelques cd’s, eux aussi, laissés depuis trop longtemps sur les étagères de ma discothèque.
Si l’on connaît quelques œuvres orchestrales comme Escales (1922), le rare Concertino da camera pour saxophone et instruments à vent (1933) ou sa participation à l’œuvre collective L’Éventail de Jeanne (1927), un ballet auquel il participe avec, entre autres, Ravel et Roussel, la découverte de sa musique de chambre à travers les deux Interludes pour flûte, violon et harpe donne l’envie de pousser plus loin la porte de son Quatuor à cordes ou du trio pour violon, violoncelle et harpe.
Jacques Ibert étudie au Conservatoire de Paris de 1910 à 1914, dans les classes d’Émile Pessard, André Gédalge et Paul Vidal. Il sert pendant la Première Guerre mondiale comme officier de marine chez les fusiliers marins. Il remporte le premier grand prix de Rome en 1919. C’est d’ailleurs d’Italie qu’il ramène, en 1922, Escales pour orchestre, l’œuvre qui établit aussitôt sa réputation. Il s’installe en France où il devient pendant plusieurs années un des compositeurs les plus en vue de la nouvelle génération. On admire à la fois sa sûreté d’écriture et son indépendance face aux styles et aux modes esthétiques.
Début du premier Interlude pour flûte, violon et clavecin (ou harpe)
Il dirige ensuite l’Académie de France à Rome (Villa Médicis) de 1936 à 1940 et de 1946 à 1960. Sans quitter ses fonctions à Rome, il est appelé le 1er octobre 1955 comme administrateur de la Réunion des théâtres lyriques nationaux. Toutefois, à cause de sa santé fragile, de la lourdeur de la tâche et des attaques dont il fait l’objet, il se retire dès le 20 avril 1956. La même année, il est élu membre de l’Académie des beaux-arts. Il meurt le 5 février 1962. Il est enterré au cimetière de Passy.
Il a composé des opéras, des ballets, des musiques pour le théâtre, le cinéma et la radio, des œuvres vocales ou instrumentales légères et mélodieuses qui n’oubliaient pas des instruments souvent délaissés. Il a collaboré étroitement avec Marcel Mule, l’un des premiers protagonistes de l’école dite « française » de saxophone. Sa musique de chambre, peu connue, est une sorte de jardin secret où le ton de la confidence côtoie celui du divertissement.
Dans la lignée de Debussy et Ravel, Jacques Ibert réunit les qualités essentielles du musicien français : clarté, équilibre, verve et élégance. Il se définit lui-même cependant parfaitement par ces quelques lignes : «Le mot système me fait horreur et je fais le pied de nez aux règles préconçues. Tous les systèmes sont bons pourvu qu’on y mette de la musique». Celui qui sera l’un des musiciens les plus indépendants de son temps refuse donc toute appartenance à un groupe précis.
Henri Dutilleux a fait très tôt l’éloge de son aîné : « L’art de Jacques Ibert échappe à l’épreuve du temps, car il est, avant toute chose, essentiellement classique de forme. Mais quelle imagination dans l’ordre, quelle fantaisie dans l’équilibre, quelle sensibilité dans la pudeur ! » … C’est fort bien vu puisque c’est justement ces qualités là que nous retrouvons avec le plus grand plaisir et une véritable émotion presque 70 ans après les propos de Dutilleux.
Début du second Interlude.
Et c’est de cette époque que datent les deux superbes Interludes pour flûte violon et clavecin (ou harpe) que j’évoquais plus haut. Composés en 1946, l’ensemble ne dure que quelques minutes et furent écrits comme une musique de scène pour une pièce de Suzane Liliar, la dramaturge et romancière belge flamande de langue française, Le Burlador (1946), une réinterprétation originale du mythe de Don Juan vu d’une perspective féminine et révélant sa capacité profonde à l’analyse psychologique. Le sujet implique pour Ibert une couleur qui évoque le XVIIIème siècle. Le premier interlude, Andante espressivo, est légèrement dramatique tandis que le second, Allegro vivo, déploie une expressivité « frivole » qui évoque l’Espagne, le pays de Don Juan.
Et puis, si le cœur vous en dit, voici deux cd’s qui vous permettront de découvrir ce compositeur. Le premier, rassemblant une bonne part des œuvres orchestrales et concertantes les plus connues est disponible normalement. Le second, édité par Brilliant Classics, est aujourd’hui plus difficile à trouver. Il rassemble pourtant toute la musique de chambre… avec ses formidables perles. Alors, pour bien commencer cette première semaine de juillet, laissez-vous transporter par la magie d’un compositeur trop rapidement oublié… enthousiasme assuré… !